Le château de Molsdorf, à quelques kilomètres d’Erfurt (Thuringe) accueille pour son exposition de rentrée une trentaine d’aquarelles et de dessins à la craie noire de Siegfried Körber.
Né en 1937, Siegfried Körber a fait des études d’art et de graphisme dans les universités de Potsdam / Berlin, Erfurt, Leipzig et Dresde. Professeur d’art à l’université d’Erfurt, il a été reçu comme artiste invité dans l’atelier Beckmann de la Villa Romana à Florence. Ses œuvres ont été présentées dans de nombreuses expositions en Allemagne et dans différents pays d’Europe.
Elementares. Dans sa forme allemande, comme dans sa traduction, le titre de l’exposition joue de l’ambigüité, l’aquarelle en métaphore des éléments et de l’élémentaire. D’un côté la nature, ce que l’œil en perçoit dans le paysage et le moment qu’il arrête, qu’une intelligence de la main organise en taches limpides et colorées de lumière et d’eau. De l’autre, l’eau toujours, plus ou moins chargée de pigments, posée en lenteur ou d’un geste prompt sur le papier, fondue, imbue, infiltrée, essuyée, l’attente et la réplique aux inconstances d’un étalement, d’une mouillure, d’une coulure, d’une infiltration ou d’une rétraction, de contacts et de mélanges, festons contre festons. De l’un à l’autre, la métamorphose d’énergies, observées et respectées, libres et contraintes, le temps embrassé d’une suspension de silences.
Comme le rappelle Kai Uwe Schierz, Directeur des musées d’art de la ville d’Erfurt, dans la préface du catalogue, invoquant Dürer, Turner, Cézanne, Slevogt, Klee, Macke…, la pratique de l’aquarelle est un voyage, extérieur et intérieur, une conversation avec la nature, en attention à l’élémentaire, l’eau en réponse à l’eau, la palette en réponse à la lumière, le mouillé et le sec en réponse aux fluidités. Art de l’aléatoire et du contrôle, « entre le chaos et l’ordre », la composition colorée se déploie à la frontière de l’observation. L’équilibre imprégné du fond blanc du papier s’invente dans le non-fini, dans l’acte médiat et immédiat du dessin et de la formation spontanée de l’image sur les impressions volatiles.
Le voyage commence dans le jardin de l’artiste, les fleurs que Siegfried et Evelyn Körber cultivent, Kleines Blumenbeet (Petit parterre de fleurs, 2016), Frühling (Printemps, 2013), s’attache à des formes arrangées ailleurs, Ganz in Rot (Tout en rouge, 2016), Provence-Stillleben (Nature morte, 2003), une corbeille de fruits, le débat soutenu avec toute l’histoire de la représentation. Comme le dit l’artiste dans une lettre à ses amis (Blumengruß, 2017), les aquarelles de fleurs respirent d’une imagination en partage où l’imitation n’est qu’un vain point de vue. La forme, le choix et la dilution des pigments dessinent un voyage à la lisière, une tension exploratoire et curieuse entre le réel et l’illusion où chacun est invité à se laisser emporter aux confins de ce qu’il reconnaît et de ce qu’il rêve.
La campagne et la forêt de Thuringe, un tour d’Europe, les côtes de la Manche, de Galice, les fjords norvégiens, un lac suédois, une ile en mer Baltique, des moments de poses, et le voyage reprend le temps d’un échange avec Paul Cézanne (Sainte-Victoire, septembre 1998), avec Max Slevogt et Paul Klee (Nilbarken – Kairo, 1996 ; Gräber in Sanyed Sultan – El Minia, 1996). Expérience et contemplation de l’éphémère, le voyage est recueil de rencontres explorant les porosités aux limites entre représentation, abstraction et métamorphose.
Sonne in der Bucht von Barfleur (Soleil dans la baie de Barfleur, 1999, 56 x 76 cm), le ciel et la mer de juillet vibrent de multiples variations, se détachent et se reflètent en ondes de chaleur et de fraîcheur ; les touches de couleur infiltrent la tension de l’air aux répercutions cadencées du ressac. Dans l’horizon ouvert, les transitions et l’espace se composent selon les attraits du peintre. Du papier au paysage, l’abstraction épure la représentation jusqu’à rendre la mobilité et la précarité des éléments presque tangibles. L’eau, étale ou en éclatement de contact, en nuances fugitives, éprouve les contours et le ressenti, ici et maintenant (Insel im Atlantik – Spanien – Galicien, 2000 ; Vätternsee mit Insel Visingsö, Gränna Schweden, 1999).
Dans les aquarelles de Siegfried Körber, l’air, dans sa transparence, a les couleurs de l’esprit de l’artiste, celles des réminiscences et des fictions du spectateur, mobiles selon la lumière du jour. Le ciel n’est ni plus bleu, ni plus uniforme qu’une dune adossée à la mer, une ile dans un lac suédois ou des rochers au fond d’un fjord. Calme (Ruhe am Meer, 2016), radieux (Strahlen am Meeresufer, 2017) ou nébuleux (Fjordnebel – Norwegen, 2015), menaçant (Bedrohliches Licht, 2017), le ciel est mouvement, énergie en suspension. Rouge embrasé, jaune, vert, bleu… se gonflent, se contractent, s’éclaircissent ou s’épaississent à la charge d’éclats et de dilutions pigmentaires.
Sur les murs de la Turmzimmer du château, l’exposition propose ainsi une traversée de transparences que le catalogue regroupe en thèmes qui, aussi bien, suspendent l’homme à la nature que le peintre à sa technique et à ses émotions, « Stille » (calme), « Licht » (lumière), « Glut » (feu), « Sturm » (tempête), « Wasser » (eau), « Luft » (air). Chaque thème est introduit par un jeu de correspondances poétiques (Goethe, Hofmannsthal, Fried, Morgenstern, Gerhardt), l’invitation à une nouvelle balade de l’exposition, les couleurs et les mots en tête.