Si David Lynch est toujours et avant tout reconnu comme cinéaste, il semble désormais acquis que son travail s’étend à bien d’autres domaines, des plus classiques aux plus ésotériques puisque l’artiste a récemment dessiné un club, dont l’élément le plus notable est sans doute l’entrée, une longue et sobre descente sous terre.
Dans cette activité désormais tous azimuts il ne faut sans doute pas s’arrêter au clinquant et au massif. Snowmen est un livre d’une vingtaine de pages et de petit format, publié en 2007 par Xavier Barral, en complément de l’imposant catalogue de la Fondation Cartier. Snowmen regroupe huit photographies prises sans doute le même jour, de l’intérieur d’une voiture. On y voit des pavillons de banlieue et, sur les pelouses qui les séparent de la rue, des bonshommes de neige. Les pelouses semblent un peu boueuses et certains des personnages ressemblent plutôt à des tas de neige sale.
Il est étonnant de trouver chez Lynch un objet que l’on pourrait rattacher à des enjeux post-photographiques, aux démarches de Hans-Peter Feldmann ou Joachim Schmidt. Comme pour rejouer la question de l’archive, la page de garde du livre situe la prise de vue dans l’espace et le temps. Les images datent des années 90, plus de dix ans avant d’être imprimées, remobilisées, hors de tout contexte documentaire. Elles atteignent dans le livre cette qualité des images d’amateurs une fois détachés de l’album de famille, une qualité d’archive, per se.
Mais le livre s’appuie plus qu’il ne repose sur ces questions. La nature fondamentalement lacunaire de l’objet, favorisé par la mobilisation réflexe du cinéma de Lynch, ouvre en quelques pages la perspective d’un dispositif. Il mobilise moins une fiction précise qu’une longueur d’onde. Ce sont en effet les angles morts des images qui font surface, autant le photographe derrière le pare-brise sale de son véhicule que les habitants invisibles derrières les fenêtres aveugles des pavillons. C’est l’inconscient qui est visé par cette succession d’images si pauvre en apparence.
Aussi mystérieux que délicat, Snowmen de David Lynch, ouvre par sa simplicité un chemin incertain. À compter parmi les meilleures œuvres récentes de l’artiste, Snowmen produit cette opération singulière de déplacement de nos repères, laissant le champ libre au surgissement d’un Unheimlich propre à l’Amérique profonde.