La menace :
Actuellement, le CAC Brétigny est menacé d’un ordre de Pierre Champion, Président de la Communauté d’Agglomération du Val d’Orge : les œuvres qui ont été installées depuis 2003 à l’extérieur du bâtiment de l’espace culturel Jules Verne sont à détruire au plus tard fin décembre. Certes, elles ont été installées sous des contrats temporaires et il n’était pas prévu de les garder sur place. Mais seule une visite du CAC suffit pour comprendre que les enlever serait un acte de vandalisme qui détruirait une contribution importante à ce qu’on appelle à l’étranger désormais le « nouveau dynamisme français ». Dynamisme qu’on ne trouve pas tant à Paris « intra muros » que sur des « terrains vagues » par rapport à la scène internationale d’art contemporain. Ces terrains urbains et périurbains donnent aux artistes, autrement enfermés dans de nombreuses structures montées pour les supporter et entraînées par le flux fort entre marché de l’art et logique de la représentation, l’indispensable marge de manœuvre qu’il faut pour créer.
Le centre
Le CAC est en extension permanente. En 2003, l’atelier van Lieshout avait, avec l’aide de la DRAC Île-de-France, installé un « Edutainer » – seule œuvre qui n’est pas menacé de la destruction – à l’extérieur, un genre de container fourré de bois, à la fois lieu de rencontre, de débats et véritable boîte aux idées. Puis ils ont créé une alvéole en fibre de verre, collée sur la façade du centre au moment de l’agrandissement de l’espace d’exposition, proposant un minuscule studio multimédia pour regarder des vidéos d’artistes. David Lamelas, quant à lui, avait pris en compte l’emplacement de ce centre d’art au bord de la ville, face à un immense parking le séparant du lycée technique. Le corridor en béton qu’il a construit s’installe comme obstacle sur les chemins passant devant le centre et incite les passants à se tourner vers ce qu’ils ont complètement ignoré avant. L’œuvre a été montée pour l’exposition « “L’effet écran » en 2004, la première de cet artiste important dans une institution française depuis 1971. Lamelas installait ce tube carré sans toucher le bâtiment : seule une vitre a été remplacée par une porte coulissante pour en faire l’entrée principale du centre. Autour, la jeune ville pousse avec ses tours, tandis qu’à son côté des anciens champs rappellent le village rural d’antan.
La ville
Quand on se balade dans Brétigny, on découvre une ville en expansion. C’est une ville marquée par la proximité de Paris et par un développement rapide la menant, parfois brutalement, à une modernité industrielle qui rime, pour certains, avec la prospérité. Quand on se rend sur le site Web de Brétigny, on est invité à créer son propre blog, à communiquer et à « diffuser son talent ». On est également invité à se rencontrer, à trouver « l’amour tout près de chez vous ». En vain cherche-t-on un lien vers le Centre d’art contemporain ou vers d’autres institutions culturelles de la commune. La décision du président a pour objectif de « faire un retour à l’ordre administratif », après qu’il y ait eu des incidents avec des jeunes fumant des joints sur le terrain du centre. Cette décision, prise malgré une visite des lieux – la première depuis la création de l’Agglomération –, va contribuer non seulement à la destruction de quelques œuvres majeures qui ont été créées ces dernières années dans l’espace public en Île-de-France, mais elle va également réétablir un désert là où l’activité du centre avait réussi à créer un « terrain vague productif ».
L’intégration
Sur ce « terrain vague productif » les lycéens de l’école polytechnique en face avaient enfin un intérêt à y mettre les pieds après avoir été intégrés dans le processus de production. Les fondements en béton et des éléments en métal de l’installation de l’architecte Hans-Walter Müller ont ainsi été réalisés par les élèves. Müller est le fondateur, dans les années 60, de l’art kinéthique et a eu une très grande influence sur l’histoire d’art et de l’architecture des dernières décennies. Son œuvre, une espèce de mini-amphithéatre modulable, dialogue avec celle de David Lamelas. L’installation de Müller permettait notamment de fermer l’autre bout du corridor de Lamelas pour éviter que les jeunes en question continuent de fumer et de taguer à l’intérieur. Une évolution créant non seulement un dialogue des artistes à travers leurs œuvres, mais aussi une ouverture du centre vers son contexte urbain. Environnement que l’on préfère généralement masquer ou négliger. Mais l’urbanisation brutale en Île de France est une réalité et a des conséquences considérables pas seulement pour le paysage urbain mais aussi pour le paysage culturel et symbolique comme l’a montré le livre « Paysages territoires – l’Île-de-France comme métaphore ». [1]
La cohérence
Le CAC Brétigny a développé, depuis l’arrivée de son directeur Pierre Bal-Blanc, un projet pointu pour revaloriser ce terrain vague comme lieu de création et d’appropriation par ses habitants. Travail qui a été fondé par son prédécesseur, Xavier Franceschi, au présent directeur de la FRAC Île de France. Franceschi considère la situation actuelle comme conséquence d’un « hiatus qui s’est ouvert au cours des années entre l’attente des politiques locaux qui cherchent d’établir une culture purement locale et l’apport des directeurs avec un vrai projet de recherche artistique ». Pourtant, les centres d’art en périphérie de Paris ont « toujours joué une rôle important pour la jeune scène française et ils contribuent notamment à l’évolution de l’art contemporain en France ». Les œuvres installées sous la direction de Bal-Blanc seraient, selon Franceschi, « hyper-cohérentes » : « P. Bal-Blanc cherche à intégrer l’activité du centre dans son environnement pour faire découvrir aux habitants de Brétigny ce qui peut-être considéré comme la pointe de la création actuelle »
La fonction
Les centres d’art en France, ce sont, selon la définition de la DCA (association française de développement des centres d’art), « des lieux de production et de diffusion de l’art contemporain [qui ont] une autonomie de programmation et une grande capacité de réactivité ». C’est ainsi des pontons dans la mer de la création, des plateformes de forage pour puiser ce qui peut devenir d’une grande valeur pour tous. Voilà l’idée des centres d’art, née dans les années 70, aujourd’hui trop souvent contrariée par une réalité de rapports de forces locaux, de contraintes de financement, et d’intérêts locaux politiques nuisant à cette autonomie pourtant constitutive pour ce que devrait être un centre de recherche artistique.
Il doit être autonome dans le sens que ses projets doivent pouvoir être mis en place sans être influencés par des intérêts commerciaux ou politiques, même si les sponsors privés ou le trésor public contribuent à son financement. Il s’agit alors d’une autonomie relative, une autonomie donnée, accordée. Pourquoi créer ce genre de bulle autonome dans une région périurbaine ou rurale ? Pourquoi prendre le risque d’être confronté à des projets artistiques difficiles à comprendre, à transmettre et puis difficile à utiliser pour une mise en valeur de l’investissement ? Pourquoi construire des plateformes quand on peut construire des paquebots ?
L’avenir
La réponse est simple et elle est mise en œuvre par le CAC Brétigny d’une façon considérée même à l’étranger comme modèle. Lors du congrés annuel de l’IKT (association internationale des curateurs d’art contemporain) à Paris l’année dernière, ces professionels ont été invités à découvrir des lieux comme le Grand Palais avec l’exposition « La force de l’art », le Palais de Tokyo et puis également les centres en périphérie comme le CAC ou La galerie à Noisy-le-Sec, autre centre de gravitation alimentant la création actuelle française. Les « curators » étaient surpris de trouver, comme le disait un d’entre eux, « une façon caduque de monter des expositions et de mener un discours sur le rôle des institutions dans la création contemporaine », Seule exception : les centres d’art, surtout ceux en périphérie de Paris : « avec une programmation très cohérente qui met en valeur notamment l’emplacement assez difficile ».
Les centres d’art en périphérie de Paris sont de véritables moteurs d’un dynamisme dont Paris « intra muros » profitera. Et ils ne le sont pas malgré mais en raison de leur emplacement et de leur travail mené avec le public sur place. L’avenir de la création actuelle en France, semble-t-il, se trouve sur des terrain vagues. C’est là où même un public non-initié ose franchir le seuil vers un univers inconnu et trop souvent ignoré. Le public, notamment en banlieue, cherche la participation, mais une vraie participation, une intégration dans un projet et non pas la participation didactique les menant dans un rôle de figurant. Le CAC Brétigny était en route vers un telle intégration. On est en train de bloquer cette route pour repartir à zéro, pour refaire d’un terrain vague un désert.