Cinq chapitres, puis un cahier de photographies, suivis de trois entretiens effectués à dix ans d’intervalle, en 1996, 1997 et 2005 au Lamentin, à la Martinique : ainsi est structuré le livre que Dominique Berthet, maître de conférences à l’IUFM de la Martinique, consacre à Ernest Breleur [1].
L’oeuvre de cet artiste, qui vit et travaille aux Caraïbes, est singulière et marquante à bien des égards, souligne son exégète. Le choix qu’il a fait d’abandonner la peinture au profit de feuilles de radiographies comme matériau pose crûment la question du corps, d’un corps ambigu, d’un corps énigmatique – c’est là le sujet, et qui dit énigme dit résolution ou du moins tentative de résolution de l’énigme -, d’un corps sciemment reconstitué. Bref, ce corps qui ne cesse de nous intriguer pour nous habiter autant que nous l’habitons.
Dominique Berthet ne s’y trompe pas : « Dans les oeuvres d’Ernest Breleur, écrit-il page 14, ni la chair ni la peau ne s’offrent au regard des spectateurs à la façon des coloristes ». Il y a bien en effet une transmutation assez trouble qui s’opère. Ni vrai intérieur, ni réel extérieur : mais des cicatrices, des sutures, sur lesquelles semble sautiller et que relie du fil blanchâtre de couturière. Des trous que l’on coud, que l’on recoud. « Même si l’élasticité de la peau et l’épaisseur de la chair nous échappent, elles ne sont pas totalement absentes de ces réalisations. » [Page 15.] L’artiste comme chirurgien qui répare, ou légiste qui dissèque. C’est à force d’agrafages, de juxtapositions de blocs – j’allais écrire de blocs-soudains -, qu’il joue au démiurge et engendre des monstres.
Le judicieux cahier de photographies, de belle qualité, qui y s’y trouve entrelardé, montre bien quel peut être l’impact visuel de cet opus vivendi, perceptible à plusieurs échelons.
Ce livre, pourtant de coût modeste, est superbe. Il fait le point d’une manière claire, méthodique, sur un travail trop méconnu. Excellente idée également que d’avoir regroupé ces trois interviews, qui montrent bien son évolution de ces dernières années. Ernest Breleur y explique comment il a pris ses distances avec des oeuvres d’autrefois, qui se préoccupaient trop d’une Afrique lointaine, imaginaire, mythique.
Les supports et constituants qu’il utilise désormais, sans être vulgaires, sont banals, extérieurs aux champs présupposés de l’art. Ils impliquent une rematérialisation de l’oeuvre sur laquelle l’artiste tient à s’expliquer [P. 99.] : « En fait, il s’agit bien de la question de la matière, de la question du mouvement de la matière, de la question de la transformation de la matière. »
Ce n’est certes pas une coïncidence que cette interrogation sur le réel, car son travail porte haut et fort. Et pas seulement dans les directions les plus usuellement labourées.