Traversées focus sur le travail de Dasha Ilina

La question du rôle de l’artiste a toujours été centrale dans l’histoire de l’art. Quelle est la place de l’artiste au XXIe siècle, en particulier à l’ère d’Internet et de la surconsommation d’informations ? 

FOMO (Fear of Missing Out), JOMO (Joy of Missing Out), FOJI (Fear of Joining In)… ce ne sont que quelques exemples des angoisses liées à nos vies hyper connectées. 
Touchée personnellement par ces troubles typiques de l’époque contemporaine, l’artiste d’origine russe Dasha Ilina, basée à Paris, a fondé son propre Centre for Technological Pain (Centre pour la Technodouleur).

Au travers de divers dispositifs inspirés de l’esthétique DIY (do-it-yourself), simples et efficaces, Dasha Ilina offre des solutions inventives et décalées pour les personnes qui ressentent le besoin de se déconnecter des interfaces numériques.
Ces objets créatifs sont accessibles en ligne et facilement reproductibles avec des matériaux de récupération. L’artiste propose également des tutoriels de mouvements d’auto-défense contre la technologie et ses addictions, ou encore des cours de yoga qu’elle anime elle-même, permettant de continuer à utiliser son portable et de suivre son flux d’informations tout en se relaxant.

Empruntant le style et le langage des géants de la technologie et du monde du développement personnel, Dasha Ilina construit avec humour un discours critique sur les usages et des déviances liées aux nouvelles technologies.

Plus récemment, l’artiste s’est penchée sur la question de la « conscience ambiante », un concept qui décrit une nouvelle forme de conscience sociale qui se propage grâce à une connexion régulière avec ses proches par le biais des réseaux sociaux.

Dans son nouveau Center for Networked Intimacy (Centre pour l’intimité connectée), Dasha Ilina propose des ateliers où l’on est invité à enregistrer un message audio destiné aux personnes qu’on suit sur les réseaux. Déclarations d’amour, révélations de jalousie, ou encore pensées pour s’excuser d’un manque d’empathie, le “Centre pour l’intimité connectée” est à la fois une séance de thérapie de groupe et un atelier artistique. Dasha Ilina invite les participants à créer du lien et à réfléchir aux moyens d’action encore possibles dans un monde de plus en plus virtuel.

Deux projets qui semblent répondre aux questions soulevées en introduction.

Dans un autre registre, « Les humains rêvent-ils d’une connexion en ligne ? », est un oreiller orné d’une broderie représentant un téléphone portable allumé : un clin d’œil au fameux livre de Philip K. Dick que Dasha Ilina a réalisé pendant sa résidence à Mains d’Œuvres (Saint-Ouen), pendant le deuxième confinement, en 2021. L’objet sert de contrepoint à la réflexion du critique d’art Jonathan Crary qui, dans son livre 24/7, parle du sommeil comme le seul moment pour faire barrage aux exigences du monde de la consommation incessante. Selon l’essayiste, cette grande partie de notre vie que nous passons à dormir serait le seul affront possible à la voracité du capitalisme contemporain.

Quant au futur de l’humanité, l’artiste Dasha Ilina s’inquiète du sort de nos données une fois que nous ne serons plus de ce monde. Réalisée avec les artistes Lina Schwarzenberg et Erica Jewell, « Say Yes to Grave ! » (Dites oui à la tombe !) est une vidéo parodiant l’esthétique et le style caractéristiques des annonces du service publique des années 90, qui interroge la gestion des informations numériques que nous avons accumulées tout au long de notre vie. Toujours avec beaucoup d’ironie et d’intelligence, l’artiste donne des conseils utiles pour gérer de manière responsable ces données après notre décès. Elle met le doigt sur une question épineuse à laquelle nous n’avons pas forcément encore assez réfléchi. Say Thanks to Dasha ! (Dites merci à Dasha !) pour y avoir pensé avant nous.