Traversées focus sur le travail de Melina Ghorafi

Mêlant dans sa pratique artistique performances, conférences, workshops, textes de chansons et fictions déambulatoires, Mélina Ghorafi (née en 1995, vit et travaille à Bruxelles) tente de représenter les violences faites aux femmes et leur esthétisation récurrente, en s’attachant à démanteler les clichés misogynes profondément ancrés dans la culture populaire occidentale. 

Pour son projet MUSOGYNIE, débuté en 2018 et dont le point de départ fut son diplôme de fin d’études à la Villa Arson, Mélina Ghorafi a imaginé un musée de la misogynie et de la culture du viol et qui rassemblerait artefacts, histoires et anecdotes, un peu à la manière du Jim Crow Museum of Racist Memorabilia qui abrite la collection d’objets racistes à l’Université́ Ferris dans le Michigan. En réponse à la récurrence d’images représentant la violence contre les femmes, telles que les chansons paillardes ou les gravures anciennes, le projet de l’artiste catalyse la fantaisie des représentations qui a laissé s’instaurer une culture dominante de clichés sexistes, violents et dégradants, et met en lumière leur rapport ambigu à la réalité.

Ce qui l’intéresse tout particulièrement est la représentation de l’archétype féminin et l’esthétisation de la misogynie, qui rend cette dernière plus acceptable aux yeux de la société. Dans le cadre de la réalisation de ce projet, l’artiste a réfléchi à des formes de présentation variées et a notamment conçu une performance intitulée Femme sans tête, tout en est bon, inspirée d’une gravure du XVIIème siècle qui représente une femme décapitée par Lustucru, le « forgeron des femmes », et dont le coup de pioche est censé les priver de leur attribut le plus indésirable et le moins utile—leur tête. Assise en tournant le dos au public, Mélina Ghorafi récite un texte qui rassemble des citations misogynes relevées dans diverses œuvres littéraires ou scientifiques, et au sein d’almanachs de stéréotypes féminins. Elle est tantôt vêtue d’un costume ou d’un caftan violet, couleur qui joue un rôle prépondérant dans son travail, et qui a souvent été l’apanage de la représentation des femmes âgées, des sorcières et des lesbiennes.

Une seconde occurrence de MUSOGYNIE prend la forme d’une balade virtuelle autour des statues de femmes installées dans l’espace public de différentes villes, Bruxelles par exemple. Elle est intitulée Les Anges de Rebut en référence à une citation d’Alexandre Dumas fils qui affirmait dans son ouvrage L’Ami des Femmes (1864) que les femmes, anges de rebut, étaient la « seule œuvre inachevée que Dieu ait permis à l’homme de reprendre et de finir. » En compilant d’innombrables archétypes, allégories, et autres figures féminines génériques qui peuplent les jardins publics, les institutions et les lieux de pouvoir en représentant tantôt les saisons, la justice ou l’amour, Mélina Ghorafi s’attache ici à déconstruire les stéréotypes idéalisant, fétichisant et réifiant l’image des femmes.

Cette volonté qu’a Mélina Ghorafi de braquer son regard vers les zones d’ombres de l’histoire culturelle occidentale façonnée par une mentalité patriarcale et misogyne fait également écho à l’œuvre de l’écrivaine éco-féministe américaine Starhawk et à son ouvrage célébré de 1982, Rêver l’obscur. Au sujet des violences faites aux femmes, l’une des protagonistes de ce récit s’exprime ainsi : « Mais si tu racontes l’horreur sans recréer l’obscur, tu l’alimentes. Tu ne supprimes pas son terreau. Nous devons rêver l’obscur comme processus, rêver l’obscur comme changement, afin de créer une nouvelle image de l’obscur. Car l’obscur nous crée. » 1

1.Starhawk, « Rêver l’obscur : femmes, magie et politique ». Paris : Cambourakis, 2015.