Traversées focus sur le travail de Ségolène Thuillart

En parallèle du travail de critique fait par certain·e·s créat·eur·rice·s pour les réseaux sociaux et qui renouvelle l’histoire de la satire politique pour ces nouveaux médias – prenons pour exemple les pages de mèmes sur le monde de l’art contemporain – d’autres artistes s’engagent dans une Histoire militante de l’art en se réappropriant différents médiums, plus analogiques, utilisés auparavant par leurs ainé·e·s, afin d’interroger la façon dont nous nous organisons collectivement. Ségolène Thuillart est de cette bande, puisqu’elle réinvestit le happening, la poésie-action, l’installation interactive ou encore même la broderie.

Elle s’active à faire entendre la voix de ceux et celles qui résistent au tout contrôle : le contrôle par l’administration, le travail, l’organisation collective subie. Elle met en lumière l’absurdité des situations qui sont imposées à nous individus, par les forces gestionnaire, capitaliste ou réactionnaire. Et notre époque, sur couches de vagues de covids et de superubérisation du travail, est féconde en Ubus et Kafkas à dévoiler.

Comme l’y engageait une ancêtre de valeur, j’ai nommé Adrian Piper, Ségolène Thuillart produit un méta-art 1 qui interroge les conditions et limites d’existence de l’art. Elle se saisit de ce qui s’impose à elle en étant artiste, ou plus généralement professionnel·le de ce milieu : les difficultés à vivre et être rémunérée de son métier, l’obligation de cumuler différents emplois qui souvent n’ont rien à voir avec la création, l’ambivalence entre les grandes idées d’ouverture d’esprit prônées dans l’art et la quasi-impossibilité à mener une carrière en étant mère, etc.

Elle dévoile à quel point ces tristes constats sont applicables à l’ensemble de notre organisation sociale. Cependant, par la force de l’humour de ses œuvres et actions, Ségolène Thuillart semble nous dire : « je suis là, je te comprends, tout cela n’est pas normal ». En choisissant des médiums qui imposent une présence humaine, celle de l’artiste, ou des objets reconnaissables de tou·te·s, elle résiste au rideau de fumée généralisé, et offre à son public le potentiel révolutionnaire de la prise de conscience.

1. Meta-art : référence à la notion créée par Adrian Piper dans le texte « In Support of Meta-Art », publié en 1973 dans Artforum. Elle y engage les artistes à s’approprier le commentaire sur leur travail, remplaçant ainsi les critiques ou historiens de l’art. « Je souhaite plaider en faveur d’une nouvelle activité pour les artistes. Celle-ci pourrait s’intégrer à l’art lui-même, exister parallèlement ou s’y substituer tout à fait. ». En généralisant, le terme méta-art peut définir un art qui réfléchit à lui-même, depuis Fontaine de Marcel Duchamp aux formes de mèmes internet actuels.