Un temps de rêve, Grégoire Korganow

Accueilli en résidence à la maison de retraite pour artistes de Nogent-sur- Marne sur invitation de la Fondation Nationale des Arts Graphiques et Plastiques (FNAGP), Grégoire Korganow (Père et fils, Prisons, Sortie de scène, Alcools, J’étais mort…) engage les résidents à lui raconter leurs rêves. L’exposition dans le hall d’entrée et le salon de la maison de retraite présente un film et une série de photographies.

Intérieur. Tour à tour, en plan fixe, face à la caméra, assis, les yeux fermés, Arlette de B., Lise F. D., Claude G., Liane Le M., Marie Le C., Christine B., Michel M. Quelques secondes. Leurs rêves contés. Se superpose au portrait frontal de chaque rêveur l’image d’une chorégraphie dans quelques lieux choisis du parc de la Maison Nationale des Artistes. Une simple question « À quoi rêvez-vous ? ». Plutôt que de convier les personnes âgées aux souvenirs de leurs temps passés, le photographe sollicite le temps imaginaire de l’intimité partagée.
Extérieur. Sept danseurs contemporains, Aurore di Bianco, Sergio Diaz, Sylvain Groud, Bernard Wayacke Pambe, Kaori Ito, Frederico Strachan, Julie Koenig, incarnent les rêves. Au gré des tonalités changeantes des arbres et des buissons, les résidents assistent aux performances des fenêtres de leurs appartements, le récit du songe tiré vers un mouvement sensible, un geste et un voyage sensoriel au-delà de la mobilité réduite.

À l’écoute de ce qui anime l’intimité des résidents, des peurs, des regrets et des désirs, le photographe n’interprète pas. Le danseur n’illustre pas, ni ne démontre. Ensemble, ils composent un temps, affranchi du présent et des entraves du quotidien. « […] au cinquième étage une femme sur son balcon. Elle tient à la main un parapluie rouge […] » (rêve de Claude G.). Au pied d’un platane,un tapis de feuilles sèches, Sylvain Groud, vêtu de noir : le parapluie, emporté par le vent, se redresse sur le sol, « se met debout […] il a des pieds et il se met à marcher. »

Kaori Ito, soulevée par les frêles branches basses d’un érable, convoque le rêve de se propulser dans les airs, « à cinq ou six mètres du sol », de se déplacer vite et facilement sans direction déterminée et mouvements appropriés (rêve de M. Le C.).

Le rêve est aussi désir. Désir de rencontre, d’un ou d’une inconnue, au prénom séduisant. Ailleurs, une route, une forêt, désir érotique ou désir d’une attente auxquels Julie Koenig ou Bernard Wayacke Pambe prêtent le corps et les gestes sur l’herbe du parc. Se mêle le souvenir des personnes aimées, aux actes, aux scènes dont l’émotion reste vive, la mère d’Arlette de B. et sa façon de se teindre les cheveux au henné « une couleur un peu bizarre, mais qui lui allait bien », que saisit Aurore di Bianco sur un lit de lierre, « Elle n’est pas loin du tout. Et puis, ça s’efface, ça revient ». Est-ce qu’on peut ne pas rêver ? « Est-ce que tu rêves de moi la nuit […] je rêve de nous deux ensemble. Je ne rêve pas de nous avant », Frederico Strachan dansant dans un lacs de branches, les rêves, c’est toujours maintenant.

Un lieu hors du lieu et un temps hors du temps, le chien de Mozart, l’enterrement du compositeur et celui de Luigi Nono, à Venise au milieu des fleurs, Sergio Diaz dans une joute respectueuse avec les arbres centenaires. La chorégraphie répond au rêve ce que chacun y convoite d’imaginaire, une porte ouverte par le photographe passeur de l’intime.