Un nouvel éditeur pour un projet à vocation encyclopédique, tel apparaît le livre format missel de Hans Ulrich Obrist, « Conversations », récompensé par le New York Prize Senior Fellowship. Il convoque 79 personnalités de la création et de la pensée pour dialoguer autour de la dynamique de leur projet.
Dans ce premier volume au design graphique très sobre certaines disciplines ne sont abordées que par un seul représentant généralement indiscutable, Yamamoto pour la mode, Moebius pour la BD ou Cunningham pour la danse. Pour accentuer la dimension dialectique le critique et curateur choisit de mettre en perspective deux interlocuteurs à l’action complémentaire, souvent un artiste et un penseur, ainsi de Christian et Luc Boltanski. Dans la postface Stefan Boeri évoque le mélange des rôles dans l’art contemporain. Il rappelle les distributions attendues :
« Pour résumer le critique d’art contemporain devrait circonscrire et classifier sur le plan de l’histoire actuelle ce que le commissaire d’exposition devrait circonscrire et planifier sur le plan de la scénographie actuelle ».
Ces rôles sont bien souvent troublés déjà par les créateurs ; « Chaque artiste devient même potentiellement auteur de sa critique et curateur de son œuvre. » Conscient de cette confusion des rôles, Obrist travaille depuis des années sur une œuvre d’art globale sur les matériaux épars de l’art contemporain (…) pour réduire cette immense distance croissante et inévitable entre la mémoire (individuelle) et l’histoire (collective).
Cette position assez évidente quand on examine les postures critiques d’Obrist qui relève bien entendu de la confusion aujourd’hui défendue aussi par les représentants de la revue Fresh Théorie, du mélange des registres, de la high et de la low culture. Elle aboutit aussi à un corpus d’interviewés où, à côté des représentants incontestables d’un certain art contemporain international, on trouve certains petits maîtres surévalués de la scène européenne et aussi un Jamel Debouz qui tient la distance face à ces fausses valeurs.
Dans cette dernière catégorie il est hilarant de noter le délire surinterprétatif d’un Loris Gréaud face au tenant de la physique quantique, Anton Zeilinger.
L’intelligence dObrist et sa générosité permettent le plus souvent à ses interlocuteurs de donner la pleine mesure de leur démarche, cela ouvre ainsi la possibilité à Raymond Hains, après nous avoir submergé sous son habituelle pléthore d’anecdotes, de ménager quelques explications lumineuses sur ses rapports à Guy Debord. Cela lui donne aussi l’occasion d’interroger des figures moins médiatiques comme l’éditeur Maurice Nadeau, l’essayiste François Jullien, l’historienne Arlette Farge ou le photographe Lucien Hervé qui vient compléter les propos sur l’urbanisme et l’espace construit des nombreux architectes présents dans le livre.
Autant certaines prises de positions théoriques à la mode et surtout une certaine façon d’occuper systématiquement le terrain médiatique ont pu agacer dans l’attitude du critique autant on trouve plaisir à découvrir grâce à ces « Conversations » ces multiples personnalités qui mettent à plat pour nous les mécanismes de leur intelligence à l’œuvre, au service d’une pensée ou d’une œuvre.