La dimension critique du réseau

Revue d’art depuis 2006

Voir l’abeille, le trèfle

Ce bel ouvrage constitue un petit bijou composé de moments d’attention, de contemplation, de prise de conscience. Il est le second d’une maison d’édition fondée en 2022 par Jean-Michel Durafour. Le nom qui lui est donné est déjà porteur de sens et introduit les thématiques explorées, le vivant, l’écologie, l’anthropologie. Des textes et des œuvres de jeunes artistes entrent en relation. Pour l’éditeur, « c’est le montage qui crée un sens nouveau ». Il affirme sa volonté de « faire des livres dont le lecteur construit le sens ».

Celui-ci est le fruit d’une douce rencontre entre un écrivain passionné d’insectes et une artiste attentive au monde vivant, aux relations que nous entretenons avec les non-humains. Les photographies d’Anaïs Tondeur côtoient un texte poétique et sensible où se révèlent une relation, l’observation, l’émerveillement face aux plantes qui poussent à proximité et aux insectes qui colorent et illuminent nos instants de vie. Par les noms latins d’espèces rencontrées, le récit de Pierre Bergounioux nous laisse imaginer la beauté de ces petits êtres. Leur corps, leur morphologie, leurs couleurs constituent une parure fascinante. En les observant pour leurs formes, nos yeux peuvent s’illuminer et pétiller face à leur beauté.

Pour l’artiste dont la pratique est nourrie de rencontres, d’échanges avec des scientifiques et des philosophes, il s’agit d’une nouvelle forme de travail en écho. Ses projets nous amènent à penser autrement nos relations au vivant végétal. Anaïs Tondeur s’attache à s’approcher au plus près des végétaux, les regarde, les photographie comme si ceux-ci étaient vus par des abeilles, ces insectes ayant accès à la lumière ultraviolet. Sur fond noir, les plantes semblent bouger et diffuser une étrange lumière colorée. Sur certaines images, elles paraissent presque spectrales, disparaissant comme si elles devenaient difficilement saisissables. L’artiste a tenté de capter la plante par la gamme chromatique perçue par l’abeille. Pour ce faire, elle a créé un dispositif suite à un travail documentaire, en se basant sur des procédés similaires inventés par des botanistes. « La photographie est un pont entre nous et des milieux de vie » affirme-t-elle. De cette pratique, « un laboratoire d’intentions, de perceptions prend forme, pour bouleverser nos imaginaires afin de nous amener d’autres modes de représentations ».

Le texte de Pierre Bergounioux et les photographies d’Anaïs Tondeur invitent à des va-et-vient, à une diversité d’associations possibles. Deux passions se répondent, deux voix nous invitent à prendre le temps de regarder, d’apprendre à cohabiter avec les vivants, végétaux et insectes. Selon l’éditeur, Anaïs Tondeur propose « un contrechamp à ce qu’a écrit l’écrivain ». En effet, ses photographies sont comme des indices faisant image face au récit.

Une symbiose se révèle dans cet objet livre. Voir l’abeille, le trèfle se parcourt comme un jardin qui invite à aller et venir au rythme des saisons. Arrêt, proximité, puis enchantement, rêverie, telles sont les impressions qui peuvent surgir au fil des pages.