Avec comme sous-titre » Architecture et utopie dans la collection du Frac Haute-Normandie », l’exposition proposée cet été au bâtiment « Trafic » à Sotteville-les-Rouen, fait suite à celles déjà questionnant les notions de lieux, de territoires mais aussi de sites et d’architectures qui en 2000 proposaient un parcours « In the City » et en 2002 une exploration de « L’Esprit des lieux ».
Cette année, l’idée plus ouverte de « l’habité » rassemble des œuvres qui offrent moins la vision d’un vide urbain que de son envers où l’humain rode toujours malgré l’absence de sa figuration. Ce sont en effet des vues (photographiques) mais aussi des visions (notamment sculpturales ou littéraires, parfois cinématographiques ou architecturales) qui égrènent l’exposition d’œuvres ouvertes moins au documentaire qu’ à une poésie critique de ce que l’on habite ou plutôt de ce qui nous habite, bien souvent malgré nous.
Ainsi le travail photographique de Jean-Claude Bélégou autour de ces territoires mi-urbains, mi-paysagers que l’urbaniste a baptisé « zones » n’est-il pas si éloigné tout compte fait de celui que Karin Apollonia Müller effectue à Los Angeles, ville mythique et tentaculaire qui fabrique aussi bien le rêve américain que son envers désertique ou plutôt laissé à l’abandon de ses rares « habitants » laissés eux pour tout compte. C’est aussi à Sophie Ristelhuber que l’on peut faire référence grâce à ces « autoportraits » archéologiques d’où l’humain ne dit sa trace que de manière ténue et désincarnée. Mais le constat photographique aussi efficace soit-il n’est pas si critique que lorsqu’il laisse se superposer texte et image dans le travail si juste de Pierre Creton qui paraphe les clichés de pavillons de banlieue de noms d’écrivains ou de philosophes comme pour mieux marteler la sentence littéraire d’Emmanuel Lévinas : « la vraie vie est absente ». Absente comme elle l’est aussi dans les architectures fictionnelles des photographies de la série « Novomond » de Nicolas Moulin. Alors peut-être lui restera t-il la solution de conquérir l’espace industriel des maquettes de Stephen Craig ou de choisir celui plus « Le corbusien » de la bouteille miniature de Denis Mercier, mais pourra -t- il aussi décider de se perdre dans le décoratif des signes urbains de Heidi Wood avant de s’envoler sur le ballon blanc de l’utopique « Echappée » de Marc Hamandjian. Ironie et poésie pour contrebalancer l’engagement de Claude Levêque biffant d’un « prêt à crever » l’une de ces affiches offrant au rêve de tout un chacun sa petite maison de lotissement. A charge alors de se laisser envoûter par le film entre intimisme et documentaire, « La maison neuve », visionné d’ailleurs ce printemps sur Arte, et qu ’ Ariane Doublet a si justement monté entre présence et archive.
C’est à ce double passage, entre dehors (des autres) et dedans (de soi), passé et présent, envers et endroit que l’habité ou ce qui n’est pas ou n’est plus habitable, nous amène ici à réfléchir quitte à chausser les pantoufles en peau d’hérisson que Cécile Poulain a judicieusement confectionné dès l’entrée de l’exposition.
Au delà des clichés socio-documentaires que l’information nous martèle quotidiennement et qui ne touche plus vraiment personne, laissons les œuvres une fois de plus dialoguer dans l’efficacité de leur critique mais aussi la liberté de leur forme.