Yann Kersalé, Ursulumes D <-> D

Il y a la terre, la mer, les rivières et les oiseaux… À Quimperlé, Yann Kersalé avait déjà, avec Le Chemin bleu, participé à la réappropriation par la ville et ses habitants des espaces inondés en 2013-2014. Le parcours « géo-poétique » pérenne, associé à l’aménagement des berges de l’Isole, sculpte en bleu et en creux une déambulation paysagère à s’approprier dans tous les sens.
Cet été, il propose, avec les services de la ville, Ursulumes D <-> D, deux expositions à la Maison des Archers et à la Chapelle des Ursulines.

Yann Kersalé se définit comme un « sculpteur qui cherche les bosses et les creux de l’architecture, [en] met en valeur l’intrinsèque, l’activité interne [et la] présence » en connivence avec l’architecte, l’urbaniste et le paysagiste, un graveur qui exploite les silences des formes en procédant à la « manière noire » pour en révéler les vibrations, la puissance et l’intimité autant que le rêve et le doute.

À la Maison des Archers, dans la pénombre entretenue, des grappes de boules blanches de différentes tailles, rougeoient, amas de terres ou de planètes attisées de projections en fragments télévisuels confondus qui avivent l’âtre de granite des cheminées. Le parcours, sur plusieurs niveaux, se déploie en images de l’atelier de l’artiste douarneniste : maquettes, prototypes , installations et captations ; et, dans un accrochage en livre mural ouvert sur fond nocturne, les carnets de croquis d’urbanisme, d’architectures, de paysages, d’objets, de réflexions et d’apparitions interpénétrées… dessins nomades qui modèlent, de nuit, in situ, les perceptions paysagères ; le bleu, dont « la longueur d’onde marque les résonances et les profondeurs pour amener du creux », l’émergence des couleurs et des jeux de lumières moulants s’engendrent en narration silencieuse des lieux et des formes et convient à autant de déambulations- découvertes du connu et de l’inconnu.

Les salles de la bâtisse du XVIe siècle accueillent aussi divers objets de lumière, des résidences de l’artiste à Baccarat et ailleurs, des objets autonomes pour « prendre la lumière en main », la déplacer, la poser, Nomade dedans / dehors : Jessoufl, « carafes de cristal inversées emboîtées sur cannes de souffleur », Joscil, « tiges souples surmontées d’une coiffe de pampilles sur ressorts »…
À la Chapelle des Ursulines, Terre / Mer / Oiseaux. Au droit de la façade jésuite, fin XVIIe siècle, un fanal, reflet du décor baroque et réverbération sur la pierre, brille de la lumière du jour et de la nuit, du ciel changeant et de l’architecture immobile. Du cône de miroirs où s’immiscent en multiples découpes les reflets des visiteurs, du pignon de granite et de la ville sur fond variable bleu ciel et gris nuageux, s’élance une tour échafaudée de tiges de bambous à l’enveloppe de métal réfléchissant, appareillée à son premier niveau de miroirs.

Un sas à l’entrée de la chapelle, le visiteur y est invité à actionner une poignée, comme une cloche invisible et silencieuse. Sous le lambris de la voute peint d’une colombe aux ailes déployée, l’effet d’océan est habité de l’ambiance sonore créée par Éric Serra, discours des mouettes et peut-être appel d’une baleine : les fenêtres ont été recouvertes de gélatines bleues ; deux glacis en plissure appuyés sur les murs latéraux, au choix, tracent un partage de mer ou esquissent une cale de bateau ; au-dessus, suspendue à la voute, une boule de plumes, oiseau, personnage, vaisseau ailé, ou lumineux « bidule » blanc élancé par le visiteur, tangue du nord au sud sur la longueur de la nef, enchantant la musicalité bleutée de l’espace de son balancement aérien.

Un rideau accroché sous l’arc diaphragme qui sépare, à l’ouest, la nef de l’ancien chœur des religieuses ouvre une autre ambiance sonore et colorée en immersion d’image : une batterie de vidéoprojecteurs anime les murs et le sol de la boite blanche absorbant le visiteur dans la captation des réverbérations improbables du fanal, reflets de reflets fluidifiés dans une boucle rythmée des luminosités.

Déniant la poursuite fonctionnelle des éclairages, la tentation et la manie d’une mise en valeur décorative qui schématisent les émissions lumineuses dans la seule rationalité d’une de ses composantes, Yann Kersalé s’attache à la sublimation de la lumière, à la poésie et au climat qu’elle révèle, au sensible des métamorphoses : « La lumière est une transcendance et non une simple fonction ». Des deux salles et de leur traversée, éclot un récit de frontières, une fiction « géo-poétique » d’entre-deux de la terre et de l’eau, du ciel et de la mer, du jour et de la nuit, qui relate l’intrinsèque de l’architecture, ses heures claires et ses heures sombres, la mémoire et l’histoire des paysages intérieur et extérieur de la ville, qui informe, attendues et inattendues, reconnues et dérobées, leur « activité interne » et la résonnance de leurs silences.
L’exposition est accompagnée d’un livre d’un livre Lumière – Matière, qui, en cinq chapitres, « Expéditions, Urbains et paysages, Architectures, Objets, Dessins » emmène en voyage de découverte photographique des projets et réalisations de Yann Kersalé.