Jan Kopp : « La courbe de la ritournelle »

On dit de Jan Kopp que ses œuvres procèdent d’un mélange de sources, de registres et de techniques différentes. Il faut ajouter qu’il aime subsumer cette disparité sous des images conceptuelles rassembleuses. Ce fut « Parabole », en 2008 au centre d’Art Bastille à Grenoble, c’est maintenant « La courbe de la ritournelle » à l’abbaye de Maubuisson..
Motif de chant profane plus que religieux, la ritournelle a une connotation médiévale qui fait écho à la période à laquelle fut construite l’abbaye.

Mais il revient à Deleuze et Guattari d’avoir fait de ce vocable ordinaire, un peu désuet, oscillant entre le plaisir de ce qui revient et l’ennui de la reprise, entre l’attente du retour et son événement, une figure de fabrication du temps. Figure de répétition territorialisante et déterritorialisante, qui s’exprime dans le mouvement du tour et du retour, ( territorialisant) et le mouvement du détour (déterritorialisant) de tout nouveau départ. De la circularité de la ritournelle Jan Kopp a fait le dessin générateur des pièces exposées à Maubuisson, tout en prenant le soin de décliner la forme circulaire en diverses courbes : les mouvements rotatifs des pendules et l’ellipse du plateau « du jeu sans fin » , la spirale du pain, les arcs de cercle de balançoire. La première œuvre est une reprise d’une installation récemment réalisée en Autriche au musée de Dornhirn.

Au-dessus d’un plateau en ellipse parsemé de billes de verre de toutes les couleurs et de toutes tailles, onze pendules de Foucault décrivent toujours les mêmes trajectoires dans des plans différents qui se meuvent dans le sens des aiguilles d’une montre. Mais ce que l’on voit est moins la rotation de la terre (démonstration réussie et objectif atteint en 1851 par Foucault) que le balancement des sphères du pendule et leur heurt des billes de verre, matérialisé par un tintement qui percute, lui aussi, le silence de la grange. Cette œuvre produit du temps, rythmé par le mouvement infiniment répété du balancier mais souligné et perturbé par les aléas des rencontres des sphères et des billes. Mais tandis que celles-ci s’adressent à la vue et même la tiennent en suspens, la répétition déréalise le monde l’inscrivant dans une temporalité parallèle supra-sensible.

La vidéo d’animation : les « balançoires », dématérialisées elles aussi – il ne reste plus que le mouvement répété des enfants lancés dans l’air sans que soit visible ce qui les porte et qui les propulse – produisent le même sentiment que le ressort c’est le temps, mais un temps non linéaire, répété, impliqué. Les corps crayonnés, sont des mobiles lancés dans l’espace, leurs trajectoires sont des lignes et des courbes immatérielles, leur répétition rythment le temps des images qui semblent perpétuellement traverser l’écran uniformément blanc. Il n’y a pas d’histoire, seulement une génération de courbes de vitesses multiples.

Après « jeu sans fin » et « balançoires », « la courbe de la ritournelle » dans la salle des Religieuses s’inspire des entrelacs des rinceaux des fenêtres et du sol. Une longue spirale se développe dans l’espace puis s’enroule autour de l’un des piliers. Ici point de temps, l’œuvre est un treillage de baguettes de pain ( 2700 non vendues) qui délimite un espace à l’intérieur duquel on est invité à se déplacer. Cette bordure de facture très médiévale, qui évoque immanquablement les tonnelles, recèle en fait un autre temps : celui du séchage des baguettes qui menacent d’effondrement la structure, et qu’il faut arroser chaque jour pour leur conserver le nouveau rôle décoratif que l’artiste leur conféré. Mais la ritournelle est ailleurs, elle est dans le motif de base du treillis, un carré, et dans les gestes qui continueront tout au long de l’exposition à le reproduire avec les pains invendus de semaine ; et cela aussi longtemps que l’œuvre le supportera.

Kopp partage avec Kawamata des inclinations pour des matériaux simples, économiques, communs, des claires voies, l’inachèvement de l’oeuvre, un faire collectif, Kopp s’en sépare par l’introduction d’une répétition du geste et du motif qui se désintéressent des agencements rusés, des tactiques de construction, pour faire passer l’oeuvre du côté du décoratif, du répétitif, déconnecté du réel (exception faite des références citées) et qui invente son propre air musical ou visuel, indéfiniment réitérable.

Echappent à la courbe de la ritournelle quatre videos présentées dans la « salle du parloir » ; photos, captures d’écrans et dessins animés nous projettent dans des mondes animaliers, urbains, artistiques entre lesquels les liens sont incertains, laissés à la discrétion du spectateur.
Un contre temps, discontinu et en rupture avec les figures précédentes.