La galerie de Marseille Urban Gallery présente jusqu’au 29 juillet les créations de Yannick Martin, un jeune artiste de 40 ans. Il a fait des études d’architecture à Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Marseille, il a exercé comme graphiste. Il est aussi connu pour les divers Murals qui lui ont été commandés (Studio WHA-T). Cette exposition a pour le titre What the Heck, Que ce passe-t-il ? Elle voudrait être « une invitation à questionner la compréhension que l’on n’a des symboles et des signes ». Devant les œuvres présentées sur les murs, et au sol, notre questionnement voudrait aller plus loin.
L’image du carton d’invitation étonne déjà : y sont reproduites deux grilles de même taille une rouge et une blanche sur fond bleu. Il ne s’agit pas des images d’un travail de stricte abstraction géométrique ou d’une trame créée sur ordinateur mais plutôt de sérigraphies ou d’empreintes de matrices gravés avec les petites imperfections du travail artisanal. En recevant ce carton, ou en le découvrant dans un courriel, avant même d’être entré dans la galerie, s’affirme par ces deux grilles l’un des modèles récurrents de l’art contemporain. L’emploi de la grille est considéré comme essentielle dans l’affirmation de leur art pour des artistes comme François Morelet, Franck Stella, Aurélie Nemours, et bien d’autres. C’est aussi un domaine documenté par les auteurs de réflexions critiques pointues : Rosalind Krauss, Jean Clay, Hubert Damisch, Eric de Chassey, etc. Il en ressort que l’usage de la grille est un marqueur de contemporanéité.
Dans les créations de Yannick Martin l’emploi de la grille est multiple. Pour les 75 linogravures de la série intitulée GRID les grilles constituent des fonds bleus ou rouge sur lesquels se détache chaque fois un motif en silhouette ou en découpe.
Dans d’autres propositions la grille est cet espace vide d’égale dimension qui fait tenir ensemble de multiples éléments de même taille. C’est le cas pour 100 qui réunit 100 dessins, acrylique sur carton (20,5cm x 20,5cm) qui se déploie dans cette exposition sur deux murs en angle rentrant. Une autre œuvre installée sur le même principe s’étend, fort astucieusement, en oblique sur le sol de la galerie.
La grille structurante bien que non tracée les visiteurs la repèrent aussi dans les créations sérigraphiques différentes portant le titre VARIATIONS. Devant ces ensembles orthonormés le regard du visiteur peut affiner sa perception des singularités. Il peut par exemple noter que dans l’une de ces VARIATIONS toutes les figures réunies s’articulent autour d’un axe de symétrie vertical, reprenant ainsi l’une des directions de la grille. Il devient dès lors intéressant de constater que cette caractéristique ne se retrouve pas dans la création parente exposée à côté.
Ces créations plastiques sont abstraites par absence d’images figurées sans que l’on puisse affirmer que l’artiste ne parte de rien pour produire ces multiples « symboles ou signes » qu’il réunit pour faire œuvres. Je reprends là les termes de l’auteur bien que ces termes ne me semblent pas tout à fait justes. J’aurais tendance à qualifier ceux ci de pictographes en choisissant le terme utilisé par Joaquín Torres García (1874-1949). Ils ne sont pas tant abstraits que distanciés des images de la réalité environnante. A la différence de cet illustre prédécesseur les pictogrammes de Yannick Martin ne renvoient pas la nature, poissons, soleils, bateaux ou personnages etc. La grille qu’elle soit tracée ou non reste impersonnelle tandis que les pictographes sont tous la marque de l’imagination et du travail graphique de l’artiste. L’usage de la grille s’accorde parfaitement avec les formes signes en perte d’iconicité. Ces pictographes ne représente rien même si certains ne s’éloignent pas complètement des figures allusives. Ces pseudo figures d’objets marquent, en tout cas, un abandon de la ressemblance. Ceux de Yannick Martin ne se laissent pas enfermer dans une iconographie ou une sémiotique particulière. Certaines figures vont plus loin que des propositions du bon graphiste qu’il est. Des graphes comme celui en blanc sur noir (ici reproduit) installe des ambiguïtés spatiales qui défient la perception oculaire et la compréhension du cerveau. La recherche plastique devient alors proposition artistique. Il y a là quelque chose qui se voit et ne peut pas se dire.
Devant toutes ces créations deux regards sont possible : l’un pour ces ensembles et l’autre pour le détail de chacune des pièces qui sont réunies La grille permet la mise en place de multiples figures que l’artiste invente et qu’il dispose selon un choix tout à fait personnel et sans ordre hiérarchique. La grille est aujourd’hui un « dispositif d’énonciation » (Eric Chassey) comme le fut la perspective durant des siècles mais à la différence de cette dernière elle n’oriente pas le regard de manière impérative. Voilà ce qui fait l’un des bonheurs des regardeurs dans les expositions d’Yannick Martin. On peut parcourir l’œuvre dans tous les sens. Il n’y a pas de hiérarchie affirmée ; certes toutes les figures ne sont pas égales mais la grille leur donne la même importance. Yannick Martin travaille parfois sur toile qui, rappelle l’on le, est elle même constituée par une trame perpendiculaire.
Le parti pris de la grille n’est pas systématique chez Yannick Martin. Plusieurs œuvres montrent des évolutions de l’organisation plastique. Les deux peintures sur toile, ayant pour titre ON TOP OF IT fonctionnent majoritairement par l’union de la couleur et du dessin dans une composition spatialisée légèrement ambigüe. Dans les deux peintures réunies sous le titre POINT, la grille est aussi présente mais ce n’est pas une prison. Le quadrillage serait plutôt un plan urbain où peuvent se loger les gros points colorés dans une distribution non hiérarchique. Aucun des points colorés inscrit dans les carrés constitués par les orthogonales ne domine. Là encore c’est aux spectateurs de choisir leur parcours.
Durant cette exposition en galerie les créations urbaines de Yannick Martin sont présentées sous formes de petites vidéos documentaires. C’est l’occasion de constater que l’artiste travaille alors différemment. Il en arrive même à faire le contraire de ce que nous venons d’essayer de saisir. Dans plusieurs réalisations in situ il distribue habilement des figures linéaires qui viennent contredire intentionnellement les ordonnances verticales et/ou horizontales de l’architecture. On aurait pu s’en douter en examinant les deux sculptures présentes dans l’exposition.
Voilà un créateur qui a de multiples champs d’explorations dans le domaine des arts plastiques et qui, tout en voulant « désacraliser l’art », donne à voir et à penser aux visiteurs. A suivre assurément !