Yazid Oulab, en formes et en pensées

Dans le cadre de Marseille-Provence 2013 notamment, mais pas seulement, Yazid Oulab aura eu une belle actualité en cette année 2013. Cette reconnaissance est tout à fait méritée pour cet artiste aussi rigoureux que discret. Après une première exposition à Marseille à l’American Gallery en janvier-février, une autre dans sa galerie parisienne Eric Dupont en mai-juin, cette présence s’est prolongée de juin à septembre par une grande exposition personnelle dans les nouveaux locaux du FRAC Provence-Alpes-Côte d’Azur, Marseille (jusqu’au 1er septembre). Ses installations au village de Puyloubier et Centre Richebois, Marseille (titre : « Le désir du rivage » organisation voyons voir) seront, elles, visibles jusqu’au 30 septembre et la fin décembre. Yazid Oulab, né en 1958, vit et travaille à Marseille. Il a poursuivi dans cette ville ses études à l’Ecole des Beaux-arts après un premier diplôme obtenu à l’issue du cursus de celle d’Alger.

Pour chacune de ses créations cet artiste utilise des techniques spécifiques. Dans ses expositions le visiteur passe des dessins en petits ou grands formats à des productions volumiques, hauts ou bas reliefs, avant de s’arrêter devant des vidéos, très abouties dans la relation entre le visuel et le sonore. C’est particulièrement le cas pour celles présentées au Frac Marseille. Comme par exemple pour Le souffle du récitant comme signe, 2003. Cette vidéo, qui a été présentée au Centre Pompidou dans l’exposition Les Traces du sacré, est une méditation sur la mystique soufie. Quatre bâtons d’encens laissent échapper leurs volutes de fumée au rythme des orants récitant une sourate. À propos de ce texte, l’artiste disait dans un entretien : « La sourate 4 du Coran est pour moi l’une des plus belles, elle rassemble le “halif ”, le “lem” et le “mim”, qui sont la transcription de la ligne, de la courbe et de la sphère. C’est la “sourate dédiée à Marie” qui porte en elle le verbe et lui donne forme. » Dans une autre œuvre vidéo Oud, 2013, un musicien trace de la main droite, avec une mine graphite, sur le dessin grandeur nature d’un instrument à cordes (le oud) le chant que jouent fictivement les doigts de sa main gauche.

Comme on l’entend dans la description de ces créations, Yazid Oulab joint le geste à l’action, le visuel et le sonore, le plastique et la pensée. Mieux encore, celui-ci associe toujours dans sa pensée plastique le travail manuel de l’ouvrier artiste et les réflexions intellectuelles qui accompagnent cet effort. Les situations proposées ne sont pas illustratives mais métaphoriques. Elles sont proposées au regard pour susciter un prolongement interrogateur. C’était par exemple le cas des têtes masculines accrochées à l’American Gallery en janvier ; celles-ci étaient légèrement inclinées avec chacune un fil à plomb de maçon suspendu au milieu du front. La mise en parallèle de l’artiste et du maçon se rencontre également dans Le Tamis, une œuvre réalisée en 2009 lors d’une résidence à l’atelier Calder à Saché. Cette sculpture associe les instruments du peintre et du maçon. Un tissage de fils écartés en aluminium a été tendu sur un châssis à clés dont la position oblique est assurée par une jambe ajoutée à l’arrière. L’usage de l’ensemble comme tamis est attestée par la présence de sable fin à l’arrière et de gravillons accumulés en tas au pied de la toile. Les artistes de Support-Surface voyaient dans l’artiste un travailleur comme un autre, qui devait prendre conscience de la réalité des matériaux dont il se servait ; sans charge doctrinaire et avec pas mal d’ironie Oulab accomplit leur injonction. Chez lui l’accentuation des procédures créatives et l’accent mis sur les matériaux à la base de l’œuvre s’accompagnent d’interrogations sur les moyens d’aller au delà de la matérialité afin d’ouvrir sur de multiples significations que l’art peut proposer.

Comme on a pu l’entendre dans ces premières descriptions, cet artiste à développé une belle capacité à relier les mondes. Parce que la relation aux gestes, aux outils et aux matériaux est plus sensible et spirituelle que matérielle, chacune des œuvres de cet artiste est à la fois objet et idée, réalité concrète et ouverture sur l’imaginaire culturel. La religion, au meilleur sens du terme, est presque toujours présente. La plupart des pièces accrochées manifestent un lien avec les gestuelles religieuses et même les figures du mysticisme. De part sa double formation, orient et occident, Yazid Oulab donne à voir les liens entre les deux rives de la méditerranée, entre les cultures issues des mondes musulmans et chrétiens. Avec du fil de fer barbelé il dessine des gestes de mains en prière. Avec une mine graphite insérée dans une perceuse il dessine aussi bien des figures géométriques comme des cercles mais aussi des représentations de volumes (cylindre) mais aussi un grand Christ (2,20 m). Cet usage à contre emploi de l’outil est intéressant : l’usage de l’instrument inadéquat déplace l’habilité et dépersonnalise le geste de tracer. L’acte de création est désubjectivisé puisque la concentration de l’auteur est autant portée sur le contrôle de l’outil que sur la réalisation d’une forme intentionnelle. Ce geste dont il ne savait rien la première fois, il l’a perfectionné jusqu’à ce qu’il devienne aujourd’hui pour lui, et pour lui seulement, une technique. La réussite plastique et la charge culturelle des réalisations forcent notre admiration. Comme le signifiait Richard Serra dans Ecrits et entretiens (édit. D. Lelong, 1990) : « …la signification de l’œuvre réside dans l’effort pour la faire et non dans les intentions que l’on a ; cet effort est un état d’esprit, une activité, une interaction avec le monde. »

Comme on vient de le voir, dans certaines de ses créations Yazid Oulab ose le geste accidentel, il prend le risque de l’échec. Mais dans cet abandon du contrôle il se rapproche du système naturel. Pour d’autres productions comme Le mur de l’effacement, 2013, point de détour par quelque hasard ; le passage de l’intention à la réalisation est délibéré. Cette installation est composée de 1300 gommes de grande taille (4 x 28 x 9 cm), réunies sur trois rangées elles constituent un muret en travers de la salle d’exposition. L’ouverture reste possible ; elle s’énonce dans le cartel : « dimensions variables ». Les briques de gommes peuvent servir à bâtir d’autres formes de murs et à effacer d’autres textes sans pouvoir détruire tout espoir.

La gomme, le graphite, l’encre et le calame, un texte de Rimbaud écrit en fer forgé : on comprend que ce plasticien entretient une relation privilégiée avec l’écriture. Les clous eux-mêmes, réalisés en bois, en verre, en graphite, en métal, et en toutes tailles, très présents dans les différentes expositions de cet artiste, peuvent être relié à l’écriture. Des clous dits de fondation en terre crue étaient insérés dans la base de murs des temples et des constructions importantes dans les traditions sumériennes et égyptiennes. Ceux-ci portaient des inscriptions avec une écriture faite de signes terminés en forme de « coins » ou « clous » (latin cuneus). D’où le nom d’« écriture cunéiforme », mais celui-ci n’a été donné qu’aux XVIIIe et XIXe siècles.

Malgré les reprises de certains matériaux (fils de fer barbelés, graphite, encre, acier poli), la répétition de certaines figures ou la réitération des mêmes gestes dans les vidéos, les visiteurs de ces expositions repartent de celles-ci avec un sentiment d’ouverture et de liberté. Les œuvres produites sont graves mais jamais tristes parce qu’elles ne sont pas fermées. Techniquement parfaitement finies, elles laissent les significations ouvertes. Formes et gestes ont été conçus pour permettre que se produise une multitude d’associations de pensées que les mots eux-mêmes peinent à cerner. C’est entre autres le cas pour la sculpture installée au centre Richebois. Celle-ci peut évoquer une sorte d’instrument de navigation, quelque improbable astrolabe, qui permettrait au visiteur–navigateur de pointer regard et espoir vers quelque horizon lointain. L’inachèvement et l’incertitude de cette figure, que l’artiste reprend aussi dans certains dessins, lui permettent de donner, bien mieux que d’autres créateurs, un écho au mythe d’Ulysse, qui fédère tout une série de manifestations d’arts plastiques dans la capitale européenne de la culture 2013.

Relier une thématique consensuelle à la singularité d’une démarche personnelle en lui donnant une actualité est le trait des meilleurs artistes ; on l’a compris je considère qu’Yazid Oulab est de ceux là.