La dimension critique du réseau

Revue d’art depuis 2006

Zones de Productivités Concertées 1/2/3

Zones de Productivités Concertées est le titre générique de l’ensemble de la proposition de Frank Lamy qui s’est déroulé au MAC/VAL en trois volets de 4 mois chacun de la rentrée 2006 à août 2007.

Petit rappel du fonctionnement général de ZPC
Il s’agit donc de 20 artistes/3 volets/ toutes générations confondues/figures reconnues mêlées à d’autres plus confidentielles/ chaque artiste propose un titre pour son exposition et dispose également d’un catalogue personnel dont la préface est écrite par un membre de l’équipe de l’action culturelle du musée. A la rentrée 2007, un catalogue général présentant des vues des expositions accompagnées d’un texte de l’économiste Fabrice Tricou sera publié.

Le commissaire dans l’économie de la culture ou comment le parti pris de ZPC dessine une tentative de formuler un contre modèle de l’économie actuelle de l’exposition.

Franck Lamy, commissaire de ZPC, s’est risqué à échafauder un ensemble d’expositions monographiques pris au sein d’une programmation durant toute une année scolaire, au musée, en dévoilant les liens plus ou moins tendus entre l’artiste et le champ de l’économie.
Le mode d’emploi de l’exposition évoqué précédemment dans un autre article montre la complexité d’une telle entreprise, à l’heure où nos modes de vie sont largement indexés sur des stratégies consuméristes sous tendue par un zapping permanent des usagers, toujours en quête de nouveautés, on le sait pourtant, demain obsolètes. Le monde de la culture et des arts échappent difficilement à ce contexte, pris dans une logique que dénonce Pierre Bourdieu, en 2000 : “(…) l’indépendance, difficilement conquise, de la production et de la circulation culturelle à l’égard des nécessités de l’économie se trouve menacée, dans son principe même, par l’intrusion de la logique commerciale à tous les stades de la production et de la circulation des biens culturels. ”
Quels liens et temps de regard face à l’art, quels types de monstration, que dire des œuvres pour qu’elles ne se confondent pas aux autres marchandises, que faire face “ (…)à la concurrence, loin de loin de diversifier, homogénéise, la poursuite du public maximum conduisant les producteurs à rechercher des produits(…)”
Le curator, en général, peut se trouver plus ou moins complice et acteur de cette situation car il est tenu, aussi, par une économie de l’institution et de ses enjeux politiques et financiers qui la dessine : il est donc soumis à un système de rentabilité, de mise en concurrence, d’obligation de réussite et de résultat. Satisfaire un public, souvent avide tout à la fois de découvertes, de reconnaissances, de changements, de rapidité dans la perception et la compréhension des œuvres, le succès d’une exposition se jauge au nombre d’entrée ; faire du spectacle et de l’événement avec des œuvres d’art, connivence souvent ambiguë et ambivalente partagée par les artistes qui cherchent aussi de nouveaux réseaux, de nouveaux marchés, de nouvelles ouvertures.
L’Homo économicus est partout…

Au MacVal, Franck Lamy nous plonge dans une inversion de cette pratique puisque il n’adopte pas une attitude consumériste en tentant un inventaire improbable d’artistes qui ont comme propos centrale la question de l’économie, mais engage, au contraire, une sélection serrée, d’ailleurs par nature polémique, contestable et risquée pour donner à chacun d’eux les moyens et l’espace nécessaire pour exposer. Pour autant et paradoxalement, la problématique même de l’exposition pose la question du flux, de la consommation, de l’échange, du déplacement, de l’usurpation, du profit, qui sont manifestement les fondements d’une économie néo-libérale.
ZPC, dans sa forme même est de nature contestataire car l’exposition n’offre pas directement les signes d’une consommation rapide des oeuvres, laissant le temps de la maturation, de la complexité, de la contemplation, du doute, de façon à ce que les artistes nourrissent ces territoires par leurs réflexions.

Ce que j’ai pu y voir

Les œuvres ne sont pas forcément bavardes, il faut aller les chercher, les interroger réellement et prendre le temps du regard. Les pratiques des artistes sont volontairement diversifiées, polysémiques, démontrant aussi les richesses plastiques de chacun : peinture, installation, vidéo, photographie, action, sculpture…sans a priori de médium.
Aussi, chaque volet ne prétend pas réunir une typologie bien particulière d’artiste, à la façon d’un chapitre réunissant une problématique. La lecture se fait tout à la fois par artiste et sous la forme d’ensembles, de problématiques qui traversent ces trois temps de l’exposition. L’enjeu est nettement plus complexe, il engage en permanence rebondissements, liens, contradictions, ricochets d’une exposition à l’autre.
Un certain nombre de positionnements d’artistes traverse l’ensemble des œuvres dont on pourrait énoncer des mots clefs : la figure de l’artiste producteur, le paradigme de l’atelier, le lieu de production et ses outils (savoir-faire et délégation), les divers échanges, les flux, le recyclage, l’appropriation, la transformation, l’usage de l’image, les notions d’avoir et d’être, la dématérialisation, la valeur d’usage, la valeur rajoutée, le copyright, le produit, le management sans oublier le travail, l’activité, le temps libéré…

Risquons nous à échafauder trois grands ensembles dont on perçoit une communauté large de pensée alors que les formes, les moyens, les contenus même et l’esthétique peuvent être, manifestement, pour certain éloignés.

L’artiste, comme acteur d’une économie directement en lien à la sphère artistique ou plus largement au sein de l’espace social. On trouvera le travail de Daniel Chust Peters, Nicolas Floc’h, Arnaud Maguet, Jonathan Monk, Pierre Petit / Petit Land, Pascal Pinaud, Claude Rutault.

L’artiste comme bricoleur et “ appropriationniste ” de signes, de biens et d’artefacts de l’économie. On trouvera Francis Baudevin, Raphaël Boccanfuso Elodie Lesourd, Sheena Macrae, François Paire, Jérome Saint-Loubert Bié.

L’artiste, comme réceptacle de la matérialité du monde : métaphore, poésie et réalité. On Sandy Amerio, Alain Bernardini, Daniel Firman, Serge Lhermitte, Stefan Shankland, Simon Starling, Tatiana Trouvé.

Sans aucun doute, ce qui anime l’ensemble de ce projet, c’est le rapport à l’humain, à l’homme, à l’individu, pris au sein d’un monde où l’économie est une réalité avec laquelle nous devons tous vivre.