La dimension critique du réseau

Revue d’art depuis 2006

Margherita Muriti. Une exploration critique des écologies incarnées

Margherita Muriti, Cook It Until It Softens

Margherita Muriti, artiste et chercheuse en arts écologiques, se distingue par son approche interdisciplinaire qui fusionne pratiques textiles, performatives et écologiques. Elle développe une démarche axée sur la relation entre les êtres humains et les entités non humaines.

Une critique de l’utilitarisme occidental

Le travail de Margherita Muriti s’ancre dans une critique profonde de l’approche utilitariste occidentale qui perçoit les éléments naturels uniquement à travers leur valeur d’usage. Cette vision réductrice est souvent considérée comme une des causes majeures de la crise écologique actuelle. En réponse, l’oeuvre de Margherita Muriti propose des modèles relationnels alternatifs, basés sur l’empathie, la réciprocité et la reconnaissance de la dignité des êtres non humains. Son approche critique est en dialogue avec les principes du mouvement Land Art, qui tout en interrogeant l’impact de l’homme sur l’environnement, cherche à intégrer l’art dans le paysage naturel de manière non intrusive. La manière de travailler, avec des matériaux récupérés, et de s’inspirer de techniques artisanales, renvoie aux principes de l’Art Brut, qui valorise l’authenticité et la spontanéité de l’expression artistique en dehors des normes conventionnelles.

Cook It Until It Softens : une mémoire matérielle et spirituelle

Dans Cook It Until It Softens (2023), Margherita Muriti crée une robe sur mesure faite de chutes de coton imprimées de fragments de son journal intime vidéo. Chaque image est soigneusement cousue ensemble pour former un tissu qui devient une seconde peau, un espace de mémoire tangible. Cette oeuvre explore la transformation de l’expérience visuelle en une expérience haptique et offre une réflexion sur la manière dont les souvenirs peuvent être intégrés dans notre être physique. L’artiste choisit minutieusement les morceaux de coton parmi des chutes récupérées, ce qui incarne l’idée de transformation et de renaissance. Elle s’inspire des techniques traditionnelles de couture mais les adapte pour créer un tissu organique qui respire avec celui qui le porte. Cette métaphore du souffle et de la vie est centrale dans son oeuvre, elle tisse un lien tangible entre l’artiste, le spectateur et l’environnement. Margherita confère aux souvenirs une présence matérielle, à nouveau vivante, et transforme des moments intimes en objets tangibles et tactiles. La robe, en cachant et révélant des parties du corps, devient un écrin d’émotions et de souvenirs, et symbolise une continuité de l’existence. L’approche de l’artiste rappelle les oeuvres d’Ann Hamilton, qui intègre souvent des matériaux organiques dans ses installations pour explorer la mémoire et l’expérience sensorielle. Margherita Muriti illustre comment nos vies et nos souvenirs sont intrinsèquement liés à notre environnement physique, et comment les matériaux naturels peuvent devenir des vecteurs de mémoire, d’émotion et de spiritualité.

Margherita Muriti, Cook It Until It Softens

Dressing The Forest : un geste symbolique de soin et de critique

Dans Dressing The Forest (2023), Margherita Muriti explore la relation entre l’artiste et un arbre européen (Celtis australis), situé en Vénétie. Ce projet consiste à fabriquer une robe en laine feutrée et à habiller l’arbre, un acte qu’elle décrit comme une investiture spirituelle et critique. Par ce geste, l’arbre est reconnu comme un être sensible, capable de perception et de mémoire, méritant respect et dignité. Rééquilibrer les relations entre humains et nature, en conférant aux arbres une place centrale dans notre dialogue écologique, est la démarche que l’artiste prône. La création de la robe en laine se déroule en deux phases : la fabrication artisanale du feutre et l’acte d’habiller l’arbre. La technique du feutrage, qui utilise des fibres de laine, de l’eau chaude et de la pression, permet de créer une surface textile adaptable aux contours de l’arbre. Ce processus, empreint de gestes répétitifs et méditatifs, symbolise la lente maturation de la nature elle-même et crée une connexion profonde entre l’artiste et l’arbre. Le choix de la laine, à la fois protectrice et chaleureuse, évoque un cocon qui abrite l’arbre des agressions extérieures. Margherita Muriti intègre également des outils bioacoustiques pour explorer les réponses des arbres aux stimuli environnementaux, révélant leur capacité à percevoir et à réagir aux sons et aux vibrations. Cette approche souligne l’importance du toucher et de l’écoute comme langages de connexion interspécifique, tout en intégrant une dimension spirituelle et critique qui reconnaît les arbres comme des entités sacrées et dignes de soin et s’inscrit dans la lignée des artistes du Bio Art, par exemple Eduardo Kac, qui explorent les intersections entre art et biologie pour susciter une réflexion sur notre relation avec le vivant.

Margherita Muriti, Dressing The Forest
Margherita Muriti, Dressing The Forest

Le concept de CURA

Au coeur du travail de l’artiste se trouve le concept de cura (en italien, soin en français), qui implique une attention et une empathie profondes envers les entités non humaines. Ce soin se manifeste dans la délicatesse de ses gestes et dans son engagement à établir des relations respectueuses et réciproques avec la nature. Le concept de soin et d’empathie trouve des échos dans les oeuvres de Joseph Beuys et notamment dans le projet « 7000 Oaks » qui visait à réintroduire la nature dans les espaces urbains. En soignant les arbres à travers ses oeuvres, Margherita Muriti souligne l’importance de reconnaître et de valoriser les autres formes de vie. Elle encourage une éthique de soin, de responsabilité partagée et de critique écologique.

Une Vision Élargie des Relations Interspecies

Le travail de Margherita Muriti va au-delà de l’acte artistique pour embrasser une vision philosophique, écologique et spirituelle des relations entre les êtres vivants. Elle remet en question les hiérarchies traditionnelles et propose une cartographie des relations basée sur l’interdépendance et la compréhension des êtres. Comme elle l’affirme : « L’art a le pouvoir de transcender les barrières entre nous et la nature, de créer un espace où nous pouvons tous coexister en tant qu’égaux et gardiens les uns des autres. » En latin, comprehensio (de comprehendere, verbe) est l’« action de saisir ensemble » d’où l’« action de saisir par l’intelligence ». L’artiste cherche à démontrer que les pratiques artistiques peuvent servir de catalyseurs pour une transformation émotionnelle, cognitive et spirituelle des perceptions humaines envers la nature et l’autre. Margherita Muriti nous invite à une réflexion profonde sur la manière dont nous habitons le monde et interagissons avec les autres êtres vivants. Par ses gestes et ses recherches, elle ouvre la voie à une écologie incarnée et critique, où chaque être vivant est reconnu pour sa valeur intrinsèque et sa capacité à enrichir notre compréhension de l’universel. La nature, avec sa richesse de formes et de sons, est une source inépuisable d’inspiration. Margherita nous guide vers une compréhension plus profonde de notre place dans l’univers et nous invite à rêver et à agir pour un monde plus équilibré et respectueux. Son travail nous rappelle que l’art, en tant que langage absolu, a le pouvoir de transformer non seulement nos perceptions, mais aussi nos actions, nous ouvrant à un futur où l’empathie et la créativité règnent. « Nous devons apprendre à écouter les histoires silencieuses que la nature nous raconte : c’est là que réside la sagesse de notre existence partagée. » 

Margherita Muriti est artiste multidisciplinaire, sa recherche fusionne des pratiques visuelles, textiles et performatives axées sur une exploration écologique du geste artistique comme nouveau langage pour créer de nouvelles manières d’être avec le monde. 
Née à Venise en 1993, elle vit et travaille à Paris. Elle est diplômée de l’École de Gobelins (2017) et du MA en Arts et Écologie au Dartington College of Arts en 2023 (UK).
Son travail a fait partie d’expositions collectives comme La Biennale de L’Image Tangible (Paris, 2023), Envisioning Alternative Cartographies (Capa Center, Budapest, 2021), Fotofestiwal (Lodz, 2021), Landskrona Fotofestiwal (2020), Futuruins au Palais Fortuny (Venise, 2019); une exposition personnelle à la galerie VAP à Venise, Le Blanc Nuit (2019) et God how shall I pray? au Festival de la Photo (Niort, 2018).
En parallèle de sa pratique, elle enseigne régulièrement la photographie.

Le site de Margherita Muriti