Pasolini au centre d’un réseau d’oeuvres essentielles, historiques et contemporaines 

Pasolini en clair obscur
Éditions Flammarion
Textes de Guillaume de Sardes et Bartolomeo Pietromarchi
39 €
ISBN 978-2-0804-3877-5

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Le Nouveau Musée National de Monaco a organisé jusqu’au 29 septembre l’exposition « Pasolini en clair obscur » en montrant son esthétique cinématographique liée à l’histoire de l’art, notamment à travers ses grandes figures italiennes. Elle convoque aussi des maîtres de l’art moderne qui ont été ses contemporains et dont il reconnaît l’influence. Elle ouvre ces perspectives aux artistes internationaux d’autres générations qui ont été influencés par son œuvre. Un catalogue publié par Flammarion témoigne de ce jeu d’influences historiques et encore actuelles.

Les références purement historiques sont étudiées dans le premier chapitre du livre « Un cinéaste à l’école de Roberto Longhi ». Cet historien de l art a été le professeur à l Université de Bologne de Pasolini qui le revendique comme « maître. Il lui a fait découvrir les artistes du Moyen Âge et de la Renaissance italiens puis le Caravage. Cette culture, le cinéaste la transpose dans ses films mais elle nourrit aussi ses romans et poèmes. 

Le deuxième chapitre après la formation bolonaise nous conduit « À Rome, dans    l’ombre de Caravage ». Obligé de gagner la Capitale après une poursuite judiciaire pour homosexualité, la ville va exacerber d’abord sa création littéraire. Vont aussi être publiés deux romans Les Ragazzi (1955) et Une vie violente (1959), deux recueils de poésie Les Cendres de Gramsci (1957) et La Religion de mon temps(1961). Deux ans avant c’est en tant qu’écrivain qu’il collabore à la rédaction de vingt scénarii avant Accatone son premier film. Dans cette histoire d’un souteneur de banlieue, il décrit les conditions misérables du sous – prolétariat romain.

Mama Roma (1962) montre la résilience impossible d’une prostituée et de son fils qui se laisse aller à la délinquance et finit par mourir en prison le corps attaché à une table, scène qui évoque La lamentation sur le Christ mort de Mantegna. Il cadre toujours ainsi des plans larges « comme les peintres de la Renaissance composaient leurs œuvres. » Il n’hésite pas non plus à citer la célèbre Cène de Léonard de Vinci dans son adaptation à un repas de mariage réunissant souteneurs et paysans. 

Mama Roma

Deux films sacrés, bien qu’en lien à la peinture religieuse La Ricotta (1963) et L’Évangile selon Saint Matthieu lui valent des déboires judiciaires. Il y met en scène la in du monde catholique attaqué par le consumérisme. Le film a une dimension autobiographique à travers le rôle du cinéaste interprété par Orson Welles « qui avait rendu son âme au diable ». 

La Ricotta

L’audace technique est l’insertion dans ce film en noir et blanc de deux tableaux vivants en Technicolor performant deux Descentes de Croix maniéristes : celle de Rosso Fiorentino et l’autre de Pontormo. Un autre plan couleur celui d’une table mise se réfère aux natures mortes du Caravage ou de peintres hollandais baroques.

L’Évangile fait l’objet d’une documentation précise notamment pour la reprise des paroles du Christ. Après un repérage en Israël, il organise son tournage dans les Pouilles et la Calabre pour leurs étendues désertiques. Pour les références il se tourne vers Piero della Francesca et choisit son actrice du rôle de Marie pour sa ressemblance à la singulière Madonna Del Parto (1460) figurant la Vierge enceinte entourée de deux anges. Quant à l’acteur interprète du Christ il ressemble au Jésus peint par Le Greco. 

Ayant toujours éprouvé le sentiment du tragique de la vie notamment du fait de la condamnation de son homosexualité mais aussi par l’injuste exécution de son frère cadet résistant antifasciste, Pasolini illustre en images la dimension éternelle à travers deux mythes : Œdipe Roi en 1967 et Médée avec La Callas pour le rôle titre en 1969. Il réalise ensuite sa « Trilogie de la vie » qui comporte Le Décaméron, les Contes de Canterbury  et les Mille et Une Nuits. René Schérer y a vu « les exigences d’une philosophie-pensée du corps par le corps, en tant qu’arme de lutte contre toutes les formes des sociétés de normalisation et de contrôle »

Le Décaméron (1974) fait la synthèse entre haute et basse culture. À côté de l’adaptation de quelques nouvelles écrites par Boccace, le film cite de nombreux tableaux classiques tandis que d’autres scènes manifestent un érotisme trivial. Giotto y est surreprésenté notamment avec une fresque du Jugement dernier repris en tableau vivant. Silvana Mangano qui interprète Marie est tout à fait ressemblante à la Vierge d’Ogni Santi. Une scène reprend aussi des éléments à Peter Bruegel l’ancien grâce au Triomphe de la mort et au Pays de Cocagne.

Le Décaméron

Les liens à « l’extrême contemporain » sont évidents dans Théorème (1968), il s’agit d’abord d’une création entre roman, scénario et film, qui narre en parabole la visitation divine d’une famille bourgeoise. Si Pietro, le fils, étudie un livre de Francis Bacon où sont reproduites les Trois études de figures au pied d’une Crucifixion, l’artiste de référence est littéraire, c’est Ezra Pound, auteur des Cantos avec qui Pasolini a entretenu un dialogue. 

Sa collaboration avec Fabio Mauri, son ami d’enfance, a été l’occasion de deux performances Intellectuale à Bologne en 1975 et Che Cosa é il fascismo crée quatre avant et qui a été reprise par le cinéaste dans Salo. Ce film est une critique du consumérisme qui atteint aussi les corps, et ce dans une double distanciation, le changement d’époque de la république fasciste de Salo et une esthétique froide. 

Les contemporains lui ayant rendu hommage sont nombreux et le font avec des pratiques fort diverses. Cerith Wyn Evans et Jenny Holzer utilisent des textes mis en forme, des portraits sont réalisés par Giulia Andreani, Marlene Dumas et Adel Abdessemed, Adrian Paci produit une vidéo à partir de 12 aquarelles d’après Médée. Jean Luc Verna à côté de nombreux dessins, produit une sculpture à partir d’un perfecto agrémenté de nombreux portraits et documents sous le titre i Ragazzi. Ernest Pignon Ernest lui a consacré deux de ses campagnes d’affichage de sérigraphies ; dans la maison de Boccace à Certaldo il a exposé en 1975 le cinéaste nu crucifié tête en bas. Puis en 2022 Si je viens à Ostie le montre portant et exposant son propre cadavre.

Jean-Luc Verna
Ernest Pignon Ernest

Bien entendu les cinéastes ont contribué à le célébrer. Abel Ferrara a réalisé une biographie en 2014 où Pasolini est interprété par Willem Defoe, Alain Fleischer dans Magnani, la mère fantôme en 2024 questionne la renommée de la ville de Rome en y projetant le portrait de la Magnani de Mama Roma. Laurent Fiévet dans Lannonce faite à Lucia reprend des extraits de Théorème avec le visiteur et la maîtresse de maison en surimpression d’Annonciations. 

Pasolini est peut-être le dernier intellectuel européen de renommée mondiale. Un demi-siècle après sa mort, son influence s’exerce encore dans les différents champs qu’il a occupés : il est lu, cité, commenté, adapté, il inspire les créateurs d’aujourd’hui. S’il aimait se définir avant tout comme « écrivain », c’est à travers ses films qu’il a touché le grand public. Aussi le cinéma, qui a offert une caisse de résonance à ses idées politiques, tient-il une place centrale dans son œuvre. C’est à cet aspect, vu à travers le prisme de l’influence de l’art classique et contemporain sur l’esthétique de ses films, que s’intéresse particulièrement « Pasolini en clair-obscur ». 

Des extraits d’extraits d’Accattone, Théorème, Salò, etc. y sont ainsi mis en regard de tableaux de Pontormo, Pieter Claesz, Giorgio Morandi, Fernand Léger ou Francis Bacon. 

Après avoir présenté la manière dont Pasolini s’est appuyé sur des peintres du passé pour composer les plans de ses films, la seconde partie de l’exposition montre comment l’écrivain-réalisateur a, symétriquement, inspiré ses successeurs. Sont ainsi rassemblés une trentaine d’artistes internationaux lui ayant rendu hommage, beaucoup d’entre eux ayant travaillé sur la matière même de ses films.

L’essai de Guillaume de Sardes, commissaire de l’exposition démontre les liens de l’œuvre cinématographique de Pier Paolo Pasolini avec la peinture classique italienne ainsi que l’influence de quelques auteurs de sa génération.

Le texte de Bartolomeo Pietromarchi prolonge cette réflexion en montrant le mythe de l’écrivain-cinéaste a inspiré les artistes contemporains.

Avec Adel Abdessemed, Giulia Andreani, Marlene Dumas, Richard Dumas, Cerith Wyn Evans, Claire Fontaine, Jenny Holzer, William Kentridge, Ernest Pignon-Ernest,ean-Luc Verna, Francesco Vezzoli, John Waters, Francis Bacon, Giacomo Balla, Tom Burr, Lodovico Cardi, Adam Chodzko, Pieter Claesz, Clara Cornu, Walter Dahn, Regina Demina, Marlene Dumas, Richard Dumas, Cerith Wyn Evans, Federico Fellini, Jesse A. Fernández, Abel Ferrara, Laurent Fiévet, Alain Fleisher, Claire Fontaine, Jenny Holzer, William Kentridge, Astrid Klein, Fernand Léger, Stéphane Mandelbaum, Martial,  Fabio Mauri, Charles de Meaux, Giorgio Morandi, Dino Pedrali, Ernest Pignon-Ernest, Pontormo, Man Ray, Giuseppe Stampone, Jean-Luc Verna, Francesco Vezzoli, John Waters.