Repérés au salon unRepresented 2024 les portraits mixed-media de Clément Mitéran doivent leur force plastique à un subtil jeu de présence et d’effacement entre la surface du tirage photo et la structure organisée de la mosaïque.
Il existe une longue tradition de la mosaïque au sein des arts décoratifs. Ses pratiques contemporaines ont débuté après la seconde guerre en Italie, plus précisément à Ravenne où des artisans mosaïstes ont réalisé des cartons de grands peintres modernes comme Marc Chagall à partir de verre et de marbre. Dans les pratiques traditionnelles la mosaïque a toujours été posée sur mortier, on utilisait des tesselles, ces fragments de pierre colorées de marbre, de verre, et de feuille d’or sur verre. C’est le musée Paul Charnoz, musée de la mémoire industrielle de la céramique à Paray le Monial, qui organisa en 1998 l’une des premières expositions de mosaïque contemporaine qui en 2013 permit d’ouvrir dans la vIlle la Maison de la Mosaïque contemporaine.
Renée Malaval critique spécialisée sort en 2021 aux éditions Pyramid un ouvrage intitulé Mosaïque 80 artistes contemporains issus des cinq continents.Pour ne citer que 3 noms représentatifs de ces nouvelles tendances on doit penser à Invader vedette de l’art urbain qui assimile pixel et tesselle et diffuse dans l’espace public des mosaïques inspirées du jeu vidéo Space Invaders. Deux artistes internationaux pratiquent la récupération. Le Ghanéen El Anatsui, vivant au Nigéria crée des œuvres monumentales, dont certaines murales, constituées d’un assemblage de matériaux recyclés. Le brésilien Vik Muniz se sert de toutes sortes de déchets pour reconstituer des scènes complexes.
Clément Mitéran fait partie de ces artistes qui s’attachent à la défense tous azimuts de sa pratique de la mosaïque. En l’associant à la photographie il a ainsi créé les trois séries de son ensemble « Représentations » qui explorent différents états du portrait. Dans ses Figures de la mythologie moderne et contemporaine il s’attache à donner d’autres images de célébrités passées ou actuelles. On y célèbre Baudelaire, Rimbaud, ou Deleuze et pour les vivants Houellebecq, dont on ne pariera pas qu’il aura la même postérité que les trois précédents.
De fait les deux autres séries sont beaucoup plus intéressantes parce qu’elles problématisent identité et anonymat. Dans la série Figurations anonymes il a réalisé lui-même des portraits photographiques volontairement frontaux et inexpressifs de ses collègues mosaïstes de plusieurs générations et d’origines géographiques diverses. Pour rester plus fidèle à leur pratique commune il supprime le tirage sur papier et lui substitue un tirage directement sur la mosaïque. La surface des smalti vénitiens blancs ou des tesselles d’or blanc est au préalable rendue photosensible. Il réalise ensuite une mosaïque en s’inspirant de leur mode de travail par le choix de la nature et des dimensions des tesselles. Leur identité s’efface au profit de la pratique de la mosaïque. Il dénonce ainsi leur situation d’« invisibles » de l’art : ignorés par les grandes galeries, les musées nationaux, négligés par les universitaires, les médias officiels et les critiques d’art.
La série Consecratio/abolitio nominis se fonde sur une coutume datant de la Rome antique. Elle désignait la suppression du nom – une condamnation à l’oubli prononcée post mortem. Cette annulation du nom s’appuyait sur la destruction, la décapitation, la resculpture de statues, la suppression des noms sur les inscriptions, sur les pièces de monnaie, la destruction de livres.
Dans sa volonté de rendre l’art de la mosaïque très actuel, il n’hésite pas à mixer les techniques les plus pointues. Le laboratoire Picto Grand Paris a réalisé pour lui les impressions UV sur l’imprimante jet d’encre UV grand format à 7 couleurs. Afin de réaliser ces impressions sur mosaïque, il y a au préalable un traitement en amont sur le support. En collaboration avec l’artiste, la plaque de mosaïque a été parfaitement aplanie pour garantir le résultat d’impression et une bonne conservation dans le temps. Ensuite, une phase de tests à été réalisée pour régler la colorimétrie et la densité de l’impression. Carrés ou rectangulaires ces pièces produites à partir d images reprises de la série « figurations anonymes » repoussent les limites de la représentation humaine, jouant de présences évanescentes, les traits humains perdus dans les diverses matérialités des procédés mosaïques.
De même il poursuit sa logique de recomposition et de décomposition entre identité et mémoire, elle est clairement illustrée dans une oeuvre légendée Contingences, Photographie tirée sur smalte, or et bois, 60 x 56,5 cm. Avec son procédé photographique, l’artiste imprime un portrait sur une plaque ronde de smaltes, ces fragments de verre opaque qui peuvent prendre diverses couleurs, ici le blanc, il la casse en la laissant accidentellement tomber. Ainsi explosée il décide d’explorer la disparition et la renaissance du portrait. Il précise « J’ai ensuite recomposé de manière imparfaite le portrait en y ajoutant du fer rouillé et du bois qui représentent la finitude, avec l’or en contraste. C’est une manière d’interroger la persistance de l’icône dans le temps. »
Clément Mitéran, né en 1984, vit et travaille à Wissous (Essonne). Après des études de philosophie à l’université Paris VIII-Vincennes, il suit trois ans de formation à la « Scuola Mosaicisti del Friuli » de Spilimbergo (Italie), dont il est diplômé en 2008. En 2014, il reçoit la médaille d’or du Salon des Artistes Français, à Paris, au Grand Palais. Clément Mitéran a été exposé en France, en Italie et au Japon, notamment au Musée National de Ravenne (Italie) qui lui consacre en 2017 une exposition personnelle, «Rappresentazione anonima». En 2024 il participe à Paris au salon unRepresented by approche.
Le travail de Clément Mitéran, est entièrement tourné vers le portrait, dont il explore les possibilités de représentation, de réception et d'existence à l’époque contemporaine. Il emploie dans ses œuvres essentiellement la photographie et la mosaïque.
Le site de Clément Mitéran