Si l’œuvre de SMITH est construite à partir d’une multiple formation artistique, philosophique, universitaire, cette œuvre complexe présente toujours une multitude d’accès plastiques sensibles qui la rendent abordable à différents publics. Christine Ollier a été l’une des professionnelles qui l’a accompagné (e) le plus régulièrement dans sa progression exigeante. André Dimanche publie un entretien entre les deux qui montre les différentes péripéties de cette aventure humaine et artistique exceptionnelle.
Dans sa préface Christine Ollier a la gentillesse de rappeler la petite exposition Identity Lab, que nous avions organisée l’année de son diplôme. Elle m’attribue la double qualité de professeur et ami, ce que je revendique. Dès le premier bilan de première année à l’ENSP d’Arles, j’ai été fasciné par la personnalité et l’engagement de SMITH. Elle me faisait découvrir Tom de Pékin et Bruce LaBruce, je ne pouvais que lui proposer deux grandes artistes LGBT, Maria Klonaris et Katerina Thomadaki, en témoigne un numéro de la Revue Semaine paru aux Éditions Analogues.
Dans tous les domaines, en dehors de son petit groupe de proches souvent portraiturés, SMITH a toujours su se donner la chance de côtoyer les plus grands. Passionné-e de cinéma, il travaille avec Mathieu Almaric, Dominique Blanc et le fantôme de Pascale Ogier. Son intérêt pour la danse se cristallise autour de deux figures qui l’accompagnent : Christian Rizzo, via le Fresnoy et François Chaignaud. En philosophie ses soutiens sont Derrida et Paul B. Preciado. Si ces vedettes de la création et de la pensée sont amenées si facilement vers sa personnalité c’est que son univers si riche est fascinant dans ses liens aux sciences humaines, aux nouvelles technologies, à une prospective générale de l’humain qui outrepasse les canons de la science-fiction.
L’entretien s’ouvre sur les œuvres cinématographiques qui manifestent le mieux ces ambitions. L’installation vidéo C19H28O2 (Agnès) présentée en première année du Fresnoy, poussa Christine Ollier à organiser la première exposition à la galerie Les filles du calvaire. Elle est suivie des différentes versions des Spectrographies puis du cycle TRAUM (2015-2017) avec ses développements philosophiques et chorégraphiques, concept qui fonctionne ente la définition du mot rêve en allemand et la suggestion du trauma.
Si les projets personnels s’enchaînent, la réponse à une commande de Christian Caujole sur le site de la Samaritaine permet à SMITH de produire la courte vidéo Unda qui approche une autre forme de hantise évoquant une figure féminine entre Ophélie et l’Inconnue de la Seine, « une femme sans corps, à la fois âme et production du bâtiment abandonné ».
La création ne peut se faire sans ses fidèles, on peut citer Victoria Lukas, rencontrée sur la plateforme Livejounal active avant l’entrée à l’école d’Arles et qui sera son modèle. Lucien Raphmaj, philosophe et écrivain, a été connu dès le Lycée de Montreuil, il cosigne de nombreuses réalisations. Jean-Philippe Uzan, lui, est astrophysicien et apporte une caution scientifique. Antonin-Tri Hoang est musicien, ensemble ils produisent Saturnium.
Andy Brodin, rencontré dans une soirée queer, devient le sujet de ses photos, en tant que personnage central du projet TRAUM et « cristallise son obsession pour les identités suspendues, mouvantes, métamorphiques. » Après les caméras thermiques des Spectrographies les drones sont utilisés là pour faire muter d’autres objets technologiques. Devenu transdisciplinaire, TRAUM a donné naissance à des créations multiples, sculpture 3-D, photos, vidéo et spectacle dansé avec Mathieu Barbin. Après l’inauguration dans le lieu Le bel ordinaire à Pau, il a été exposé à la galerie Les filles du calvaire.
L’argument principal se pose de comment donner un corps à l’astronaute Yevgeni après sa déflagration identitaire suite à un accident spatial. Il est devenu le Patient Zéro de la Maladie des Étoiles. Ensemble ils explorent « les notions de plasticité destructrice, de déréalisation et d’indétermination. »
En 2016 à Arles, SMITH réalise In Somnis (Cosmic Junkies) qui narre les épisodes d’une épidémie de somnambulisme général venu des étoiles. Le film sera intégré ensuite dans le projet Désidération.
L’artiste définit sa pratique photo quotidienne notamment à l’iPhone avec diffusion sur Instagram comme « une instantanéité, une présence et une disponibilité aux choses, aux autres, aux rencontres ». Ces images quotidiennes en flow sont complétées par des réalisations avec des appareils de grand format suite à l’enseignement d’Arles. Christine Ollier insiste sur l’expérience du portrait avec la combinaison de deux pratique, les thermographies et le tirage sur métal brossé. Les œuvres en résultant se définissent comme portant su r la question de « la traversée du passage, le transit, la transition particulièrement appliquée au corps, d’un état à un autre, d’un genre à un autre. »
Les modèles en sont ses ami-e-s et amoureus(e)s, des êtres trans ou qui au mieux s’interrogent sur leur identité. Christine Ollier en remarque le lien à « une certaine intemporalité correspondant à leur indétermination. » Ils s’accompagnent des paysages et « vues en deçà » liés à ces figurations humaines par « un effet de sfumato qui agit comme une matière (noire) agrégeant ces éléments entre eux. » L’influence de Tarkowski y est évidente.
En collaboration avec Jean-Philippe Uzan la plus récente série évoquée dans l’entretien s’intitule Désidération. S’y manifeste « la nostalgie d’une étoile, le regret d’un astre perdu, le manque douloureux d’un objet céleste ayant disparu ».
Le dialogue s’arrête sur cette affirmation adressée à SMITH : « Tu dis vouloir t’implanter une météorite, pourtant tu en es déjà une ».
SMITH (PAR) CHRISTINE OLLIER
Éditions André Frère
Collection « juste entre nous »
ISBN 979-10-92265-64-4
19,50 euros
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