Dominique Auerbacher, artiste visuelle française, développe une œuvre qui mêle mémoire, identité, et références à l’histoire de l’art, explorant des thèmes autant personnels que sociétaux. Elle interroge entre autres les paysages urbains contemporains, conférant une dimension artistique aux espaces de passage ordinaires et questionnant la mémoire et l’identité qui s’y rattachent. S’intéressant au concept de « non-lieu », Auerbacher estime que même ces espaces éphémères – gares, aéroports, centres commerciaux – portent une mémoire et une histoire, ou en construisent une. Pour l’artiste, aucun lieu ne peut être complètement neutre ni dépourvu de repères. À travers ses photographies et installations, elle révèle la complexité de ces lieux de passage et met en lumière la présence de récits silencieux et de traces humaines, capturant des émotions telles que la solitude, la transition et la quête de soi.
En 1986, après avoir vu son projet Microcosmes sur les cours intérieures de Budapest, la Mission photographique de la DATAR invite Dominique Auerbacher à participer à un nouveau projet. Au fil de son travail, après avoir choisi de travailler sur le paysage urbain, le concept de « lieux communs » s’impose à elle. La Mission lui laisse carte blanche, avec pour seule contrainte de travailler à Lyon. Cette série, intitulée Lieux communs – Lyon, Rome, Munich, Budapest…, s’étend au-delà de Lyon vers d’autres métropoles européennes, comme Rome, Munich et Budapest, offrant une réflexion sur l’uniformisation progressive des grandes villes. Par son cadrage et son approche, Auerbacher dévoile comment l’architecture, l’urbanisme et l’aménagement des espaces publics tendent à effacer la singularité de ces villes, les rendant presque interchangeables et marquées par des caractéristiques anonymes et standardisées. En omettant souvent de situer ses prises de vue, elle laisse transparaître cette homogénéité, transformant des espaces ordinaires en objets d’observation esthétique et de contemplation existentielle. Ses photographies évoquent l’expérience du flâneur, en quête de l’âme des lieux, au-delà de leur simple fonctionnalité.
En 1997, le ministère de l’Aménagement du territoire et de l’environnement, inspiré par le travail de la DATAR, sollicite Dominique Auerbacher pour participer à une nouvelle Mission photographique, intitulée Observatoire photographique du Paysage. Ce projet vise à documenter les « paysages en devenir ». Auerbacher se concentre pour cet ensemble sur les lieux de passage aux abords des autoroutes, notamment l’autoroute A1 à l’entrée de Lille, en explorant des espaces comme les aires de repos, les parcs industriels et les centres commerciaux situés en périphérie des grandes villes.
Ce travail se prolonge jusqu’en 2009, grâce à plusieurs reconductions, qui lui permettent de revisiter les mêmes sites au fil des années et de documenter les transformations de ces paysages en constante évolution. Ces reconductions enrichissent son exploration des « lieux de passage » en soulignant les mutations de ces espaces de transition. En poursuivant cette mission, elle développe davantage sa réflexion sur les « non-lieux », se concentrant sur des espaces où la présence humaine est reléguée à l’arrière-plan, voire totalement absente. Cette distanciation de l’humain renforce l’idée d’un espace dépersonnalisé, questionnant notre capacité à reconnaître ces lieux d’apparence neutre.
Son approche photographique se distingue par un jeu subtil entre lumière et ombre, capturant l’essence esthétique de ces environnements transitionnels. À travers son objectif, Auerbacher interroge la nature et la fonction de ces paysages, révélant une beauté ambivalente et contemplative dans des espaces qui, au premier regard, semblent purement fonctionnels et anonymes.
L’intérêt d’Auerbacher pour le paysage urbain et les dynamiques culturelles prend ensuite des formes variées, notamment avec la série Kunst ist Waffe (L’art est une arme, 2008). Inspirée par un texte de Friedrich Wolf, dramaturge allemand des années 1920, cette œuvre questionne la place de l’art dans l’espace public et le rôle de l’artiste dans une société mondialisée. Elle capture des détails de l’affichage anonyme sur des abribus, suggérant la tension entre expression personnelle et uniformité visuelle dans les villes modernes. Cette série reflète son intérêt pour le langage visuel foisonnant des milieux urbains, où elle observe la façon dont le graphisme, les slogans et les symboles se multiplient et influencent le paysage urbain.
Dans cette même continuité, l’installation Nachtstücke (Morceaux de nuit) est le fruit de Dominique Auerbacher & Holger Trülzsch, créée à partir de leurs errances nocturnes à Berlin. Présentée à la galerie Nosbaum & Reding au Luxembourg en 2011, cette œuvre immersive se compose de 160 images photographiques couleur, disposées de manière irrégulière sur deux murs en angle, afin d’éviter tout parallélisme. Les murs sont recouverts d’une peinture phosphorescente blanche, créant une atmosphère mystérieuse et étrange dans une salle plongée dans l’obscurité. Un enregistrement sonore mêlant chants d’oiseaux et bruits de la ville accompagne l’installation, renforçant la sensation d’une ville vivante, même la nuit. Toutes les 30 secondes, un stroboscope déclenche deux éclairs lumineux par seconde pendant 10 secondes. Dominique Auerbacher & Holger Trülzsch explorent la nature urbaine sauvage et organique qui subsiste en marge des circuits modernes, offrant une vision fragmentée et poétique de la ville, loin des sentiers battus.
L’artiste poursuit son exploration en diversifiant ses séries, qu’elle nomme « ensembles » pour souligner la fluidité et l’ouverture de son approche artistique. Parmi ces ensembles, Scratches, réalisée à Berlin de 2008 à 2011, et Exit Through the Phone Booth/Etches, une série photographiée à Paris entre 2011 et 2014, témoignent de son intérêt pour les interventions anonymes dans le paysage urbain.
Auerbacher s’attache aux compositions fortuites et collectives de graffitis et de tags, révélant ainsi la présence d’une forme d’art éphémère, anonyme et subversive. Dans un jeu de transparence et de superposition, les tags et graffitis se fondent au paysage. Dans Exit Through the Phone Booth/Etches, elle documente les gravures à l’acide fluorhydrique, appelées « etches », qui apparaissaient sur les parois en verre des dernières cabines téléphoniques publiques, aujourd’hui disparues. Le titre de ce corpus d’images, Exit Through the Phone Booth, est à la fois une allusion au titre du film Exit Through the Gift Shop de l’artiste urbain Bansky et une allusion à sa sculpture, Murdered Phone Booth, de la cabine téléphonique londonienne, fendue par une pioche, placée dans une ruelle de Soho comme si elle y avait été assassinée. Ces deux ensembles témoignent de l’éphémère apparition de pratiques picturales subversives collectives où des tags se superposent au paysage urbain dans la transparence de surfaces vitrées.
En 2023, dans le cadre du Mois européen de la photographie, Dominique Auerbacher & Holger Trülzsch poursuivent leur recherche sur le paysage avec l’installation Les paysages du Kairos. Ce projet explore le paysage comme un espace d’interaction et d’évocation poétique. Les photographies de Trülzsch immortalisent des paysages abstraits, nés des traces de peinture et des textures accumulées dans son atelier, ouvrant une fenêtre sur des paysages oniriques et imprégnés d’une vitalité végétale. En parallèle, la série Reliefs de Dominique Auerbacher, inspirée du centon, une forme littéraire qui combine des fragments de divers textes, entrelace des références mythologiques, littéraires et scientifiques pour créer des « images mentales » du paysage. « Notre installation essaye de jouer avec la perception du proche et du lointain, de penser les lieux en fonction de l’agencement du jardin et des possibilités de déplacements et de haltes pour les visiteurs, ce qui nous ramène à l’interrogation de Henry Maldiney, Sommes-nous “devant” ou “dedans” le paysage ? ». Comme le formule Dominique Auerbacher, les œuvres nous invitent à questionner notre rapport à l’espace, en voyant ces lieux comme des réceptacles de mémoire, de récits et de symboles.
L’approche artistique de Dominique Auerbacher se distingue par sa capacité à réévaluer les espaces modernes et urbains pour y révéler la richesse insoupçonnée de ce qui semble trivial. Son travail nous encourage à reconsidérer ces non-lieux comme des miroirs de la condition humaine contemporaine, marquée par des paradoxes de mobilité et de stabilité, d’anonymat et d’identité, de fragmentation et d’universalité.
Dominique Auerbacher est une artiste française, sa pratique pluridisciplinaire articule photographie, texte, vidéo, son et installations. Elle est diplômée d’un Master en psychologie clinique de l’Université Paris-Nanterre. De 2000 à 2023, elle est professeur à la HEAR de Strasbourg, dans l'option Art. Elle vit et travaille entre Berlin et Strasbourg.
Ses œuvres ont été présentées dans des lieux prestigieux tels que le Musée d’Art Moderne de Paris, la Pinacothèque de Ravenne, le Kunstverein et la Schirn Kunsthalle de Francfort, la DuMont Kunsthalle de Cologne, le Musée d’Art moderne de Saint-Etienne, la Staatliche Kunsthalle de Baden-Baden, la MEP à Paris, le musée MAXXI de Rome.
Son œuvre fait partie de collections telles que la collection Sam Wagstaff du Getty Museum à Los Angeles, la collection Polaroid au Museum of Fine Arts de Houston, la collection du Centre Georges Pompidou à Paris, le Fonds national d’art contemporain à Paris, la collection du Musée d’Art moderne de Saint-Etienne, la collection de la MEP à Paris, la collection HGN / Hans Georg Näder à Duderstadt, la collection Arendt & Medernach à Luxembourg parmi d’autres.