Trois lieux du réseau Diagonal co-produisent l’exposition « Celle qui reste » de Juliette Parisot. Après le Centre Claude Cahun de Nantes en début d’année, le GRAPh de Carcassonne l’accueille actuellement à la Maison des Mémoires jusqu’au 21 décembre 2024. En 2025 son itinérance se poursuivra au Lieu à Lorient. Une telle synergie est sans conteste liée au caractère bouleversant des quatre séries qui tentent de lutter contre le traumatisme d’un double décès à deux mois d’intervalle, celui de la mère et de la petite fIlle de la photographe, suite à des erreurs médicales.
Née à Lyon en 1986, Juliette Parisot vit et travaille à Lyon. Elle est titulaire d’une licence d’Arts-Plastiques de l’Université Jean Monnet de Saint-Étienne, elle étudie ensuite la photographie dans une école à Paris. Membre du Studio Hans Lucas, la plasticienne est aussi photographe pour le théâtre, accréditée notamment par la Comédie française.
Pour répondre aux deux drames intimes qui l’ont frappée à l’automne 2020, elle entame une série d’autoportraits nue réalisés dans la pénombre. On peut se souvenir qu’elle a déjà expérimenté cette esthétique dans sa précédente exposition personnelle L’Heure Bleue, sur l’entre-deux, le passage du jour à la nuit. Elle est alors enceinte de sa fille qu’elle va perdre suite au bouleversement de la mort accidentelle de sa maman et à une seconde erreur médicale.
Dans son travail de deuil, elle va s’attacher à deux objets fétiches, un foulard bleu de la mère et un lange de sa fille. Selon le psychanalyste Winnicott, il existe pour l’enfant une transition « universelle » par une relation d’addiction à un objet autre que la mère. Un objet transitionnel généralement doux au toucher est utilisé par l’enfant dès l’âge de 3 ou 4 mois pour représenter une présence rassurante, comme celle de la mère. Cet objet d’avant le langage constitue une défense contre l’angoisse. Privée de mots par son chagrin, Juliette Parisot décide de photographier ces objets à fonction transitionnelle. Au lieu de contenter de s’y lover dans un contact purement tactile, elle décide de faire valser la douleur, en les lançant dans la lumière en plein air. Comme pour réactiver la puissance inconsciente de ces tissus. Face à ces polyptyques d’images surexposées, on peut repenser au travail intime de Joan Soulimant exposé par Bernard Lamarche-Vadel ; pendant plusieurs années elle a photographié une petite robe d’enfance, en la lançant à chaque nouvelle situation quotidienne ou de lumière comme on se tire les dés.
Mais devant l’intensité de la douleur, les deux séries demeurent de peu de consolation : « Ce qui reste, c’est l’absence, l’image fantôme ne comble pas, ne remplace pas, souligne-t-elle, elle matérialise le vide ». D’autres solutions artistiques vont compléter une approche résiliente. Ce sont des dessins à l’encre bleue, couleur de l’héritage maternel, qu’elle réunit dans un carnet de moleskine. C’est un autre support qu’elle associe ensuite à sa démarche pour ne pas céder.
La couverture de survie la séduit pour sa légèreté, sa couleur or et son pouvoir réflecteur. Récupérant des vêtements d’enfant de trois générations (ceux de sa mère, les siens et le seul prévu pour sa fille) elle en découpe les contours dans une telle couverture, transformant cette silhouette en un possible patron de couture, lui donnant sur le carton où elle dispose le collage au moins un présent, sinon un hypothétique futur.
En complément pour redonner une autre forme de présence mobile à ces petits vêtements désertés, elle se filme en vidéo en train de les manipuler, de les boutonner, dans des boucles ayant une vertu réparatrice pour se convaincre de la force de la mémoire.
Chaque série met une juste distance entre l’artiste et sa douleur, les étapes de sa réconciliation avec son corps s’incarnent dans le passage des tirages si sombres des autoportraits à peine lisibles au point de nous obliger à accommoder, jusqu’aux séances chorégraphiées en pleine lumière dans les jetés des tissus fétiches. Un autre passage essentiel a lieu des habits trop lourds d’enfance à ces patrons réconciliés et mis en valeur par l’or des tissus du soin. Une nouvelle gestuelle de proximité retrouve les mains dans un rôle maternel assumé.