L’étude publiée en 2010 questionne les moyens de constituer une histoire de la performance à travers les liens spécifiques à l’archive, à la critique du body art, du féminisme et des gender studies. Essais, entretiens et documents inédits contribuent à situer cette discipline, éclairant aussi les arts contemporains en général.
En préface, Anne Tronche, pour avoir suivi les manifestations de l’art corporel dès les années 1970, pose la question de la place du spectateur. Elle rend à ces pratiques leur caractère provocateur quant à la situation de l’art dans la société à travers l’avènement d’un nouvel âge de la communication.
Parmi les sources Sylvie Mokhtari rappelle la place de trois revues essentielles Avalanche, Interfunktionen et arTitudes de François Pluchart. Dans cette approche Anne Tronche évoque aussi la part importante jouée par des chorégraphes américains de la Côte Ouest, Anna Halprin, Trisha Brown ou Yvonne Rainer.
Au carrefour des deux disciplines, il faut noter le rôle primordial de la réactivation par Marina Abramovic des Seven Easy Pïeces au Guggenheim de New York en 2005. Paradoxalement alors que la performance participe de la dématérialisation de l’œuvre d’art, elle donne d’autres formes de présence à l’artiste dans la société.
Dans leur préambule Nathalie Boulouch et Elvan Zabunyan posent la question de la trace et de l’historicisation de la performance, distinguant les positions du témoin oculaire et celle de l’historien ou du critique d’art. de nouvelles pratiques comme celle du re-enacment mettent en crise le rapport à l’archive.
Pour approcher une résolution de ces questions, le livre consacre une seconde partie à un ensemble d’archives et de sources majoritairement inédites. Cela amène les deux autrices à interroger la pertinence des outils photo et vidéo face à cette pratique vivante. Ces deux arts ont été pratiqués autant que la performance par des femmes intégrant de façon significative le champ de l’art contemporain.
Sophie Delpoux, autrice de l’essai Le corps-caméra propose ce changement Deuil de l’évènement/avènement de l’image. Selon elle l’acceptation de ce travail de deuil amène une individuation des documents et de leur charge d’intention de la part de l’artiste.
Pierre Saurise revient quant à lui sur les mythes des années 1960 en ce domaine. À propos de Rudolf Schwarzkogler il rappelle que l’œuvre ne consiste pas en des spectacles, mais en des photos. L’une d’elles a suscité la légende d’une auto-castration, là où n’existent que des images métaphoriques d’un tel acte. De même autour de la performance de Valie Export Genital Panic (1969) qui narre l’intervention dans un cinéma arme à la main, une image de studio en existe qui dément la version plus spectaculaire. À propos de sexualité on peut rapporter les propos de Jean-Jacques Lebel se vantant de plusieurs performances qui se seraient terminées en orgie. De même on sait que Le saut dans le vide d’Yves Klein est un photomontage. En cette même année 1960 on assiste à l’apparition des happenings new yorkais d’Allan Kaprow, Jim Dine ou Claes Oldenburg. Kaprow préconise de choisir ses interlocuteurs des media, c’est ainsi que le Village Voice rend compte de ses 18 Happenings in 6 Parts. Même si le journaliste de Time Magazine est plus critique, son article contribue à la diffusion du terme happening.
À côté de ces apports médiatiques, les photos de Pollock dans ses Action Paintings prises par Hans Namuth apportent un autre éclairage, complété par celui des Anthropométries d’Yves Klein.
Sylvie Mokhtari dresse avec Une contre-mémoire pour la performance le commentaire de l’action médiatrice de trois revues : Avalanche New York 1970-1976, Interfunktionnen Cologne 1968-1975 et ArTitudes Paris 1971-1977. Bien que Carl André critique la photographie comme « Juste une rumeur, une sorte de pornographie de l’art » les images publiées en noir et blanc dans ces revues constituent un apport essentiel.
Avalanche en 1970 illustre la couverture de son numéro 1 par un portrait serré de Beuys, alors qu’il se prépare à prendre part à Quand les attitudes deviennent formes d’Harald Szeemann à Berne. Beuys sera aussi l’un des plus présents dans l’iconographie d’Interfunktionnen avec plus de 150 photographies publiées dans les numéro 3 à 9, ce matériau annexe à l’œuvre constituant autant de « récits autorisés » par l’artiste. Il en sera. De même pour Vito Acconci.
Janiq Bégoc établit Les sources du Body Art américain dans l’art corporel français. L’évènement considéré fondateur dans notre pays est La Messe pour un corps de Michel Journiac le 6 novembre 1969, tandis que le terme art corporel sera familiarisé par François Pluchart deux ans plus tard. Il intervient dès l’âge de 22 ans en tant que journaliste dans Combat dès 1950 où il publie ensuite ses premiers articles sur l’art l’année suivante. Contre les groupes et les écoles, il préconise que « ce sont les individualités qui établissent l’histoire. » Il forgera sa théorie au contact de Pierre Restany pour le rôle social de l’artiste et de Michel Journiac grâce à une subversion par le corps. Il s’intéresse alors à Acconci, Oppenheim et Nauman qu’il défendra dans son ouvrage Pop Art & Cie. Il s’attache ensuite à Gina Pane à travers son projet Escalade non anesthésiée. Dès 1971 Pluchart crée la revue ArTitudes, qui se fera l’écho des initiatives de l’art corporel.
Géraldine Gourbe et Charlotte Prévot évoquent La performativité du genre comme la performance au carré ! Elles rappellent d’abord l’antériorité théorique de Judith Butler en 1990 avec Gender Trouble. Leur critique par l’évocation d’œuvres comme Le baiser de l’artiste d’Orlan, le collectif Femmeuses créé en 2003 qui constitue un corpus d’œuvres, mais aussi par le re-enacment de certaines performances féministes par Pascal Lièvre. En 1992 Judith Butler regrette que son concept de performativité du genre appliqué à l’art ne soit considéré qu’individuellement.
Céline Roux interroge dans le dernier article de cette première partie « La question de la trace dans le champ chorégraphique performatif français ». Cet intérêt n’est pas toujours manifeste et on peut citer à juste titre les initiatives des Carnets Bagouet après le décès de celui-ci et la constante préoccupation de Régine Chopinot. Au niveau institutionnel de telles recherches sont l’objet du Centre National de la Danse et du Mas de la Danse. Xavier Le Roy et Eszter Salamon pour Gizelle en 2001 réinvestissent la boîte noire du plateau définie par Oskar Schlemmer comme la boîte optique. Les chorégraphes performatifs démultiplient les sources de leurs influences, du côté de la danse avec Yvonne Rainer ou Valeska Gert, mais aussi des plasticiens Robert Filliou, Bruce Naulan ou Joseph Beuys, mais encore du côté des théoriciens Barthes, Deleuze et Foucault. Latifa Laâbiss dans Morceau (2001) rend hommage à Valeska Gert et à son Japasniche Groteske entre samourai et geisha.
La seconde partie du livre Documents est la plus abondamment illustrée, elle s’ouvre d’ailleurs sur un carnet d’images d’une vingtaine de pages. Des corpus plus individualisés et souvent inédits sont ensuite étudiés. La première étude par Valérie Boulouch et Sophie Delpoux s’attache aux 12 lettres échangées par Allan Kaprow et Pierrre Restany.
Un second dossier concerne l’Escalade non anesthésiée de Gina Pane, étude de Janig Bégoc et Nathalie Boulouch, elle reprend les échanges de lettres entre l’artiste et François Pluchart, les fac-similés sont suivis de photos. Pour compléter l’entretien de Dany Bloch avec la performeuse est étudiée à travers la publication de son commentaire dans Info-ArTitudes n° 6 de 1974. La même critique responsable de la vidéo à l’ARC 2 a prononcé une conférence lors des journées interdisciplinaires sur l’art corporel et la performance (1979).
Une autre communication, celle d’Hubert Besacier sur Vidéo et performance prononcée au Vidéo Art Festival de Locarno est mise en perspective par Janig Begoc. L’un des plus intéressants dossiers, celui concernant la création Celtic + de Joseph Beuys intervenue dans la revue Interfunktionen est analysé par Sylvie Mokhtari.
Le livre se termine par trois entretiens inédits de Sophie Delpoux menés au début 2000 avec Chris Burden, Herman Nitsch et Heinz Cibulka donnant un éclairage plus récent à ces approches historiques.
La performance entre archives et pratiques contemporaines
Presses Université de Rennes/Archives de la critique d’art
Sous la direction de Janig Bégoc, Nathalie Boulopuch et Elvan Zabunyan
ISBN 978-2-7535-1239-9
20 euros
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