Andrea Eichenberger, Camila Gui Rosatti, La rue Godefroy Cavaignac

Une rue parisienne dans le 11e arrondissement, Godefroy Cavaignac, le journaliste républicain, pas le ministre antidreyfusard ; une photographe et anthropologue, Andrea Eichenberger, une sociologue et urbaniste Camila Gui Rosatti et les habitantes et habitants du quartier. L’atelier, mis en œuvre par la Maison de la Photographie Robert Doisneau, dans le cadre de « Entre les images » développé par le Réseau Diagonal, a pour projet « d’épuiser » photographiquement la rue.

Voir le projet sur le site du réseau Diagonal

« S’astreindre à observer le quotidien, sublimer sa banalité, débusquer les traces infimes des vies ordinaires », la référence aux « Travaux pratiques » de Georges Perec (Espèces d’espaces, 1974), l’observation systématique jusqu’à rendre le lieu improbable, sont assumées, font protocole. Il en résulte une série de photographies, numériques et argentiques – photographie compulsive et photographie réfléchie -, réalisées par les habitantes et les habitants dans leur diversité et, sous forme de courts récits dialogués, organisés en parcours, interrogation subjective de l’habituel, expérience affective des lieux.

À travers ces parcours se dessinent des points de vue, de l’intérieur vers l’extérieur, du haut vers le bas, de ce qu’un promeneur attentif peut voir et de ce qui lui reste caché de la banalité de la rue et des micro-histoires dont respirent les lieux, la préservation d’un néflier au fond d’une cour, le déplacement d’un banc dans un square, à peine visible de la rue, pour profiter de l’ombre en été, l’histoire des boutiques et de leurs propriétaires, des manèges, des travaux qui transforment la rue en labyrinthe. Se pose et se discute la question de la photo réussie et de la photo ratée, de l’intrusion des taches lumineuses qui masquent le référent ou le magnifient, selon la dimension affective du regard porté sur le lieu.

Toute une mosaïque de photographies, au ras du sol, de la rue, des façades, des balcons, des courettes intérieures où s’épanouissent les plantes ou le chat, du dôme d’une brasserie partiellement transformé en jardin en pots, des fenêtres où chacun observe les changements de la rue à travers la vitre, vue limitée ou vue globale, suit l’évolution d’un chantier, se remémore la rénovation du Palais de la Femme, la persistance et l’évolution du manège.

Aux photographies couleur des habitants s’ajoutent leurs portraits en noir et blanc réalisés au moyen format sur fond de façade aveugle. De sujet d’expérimentation, la rue devient aussi studio photographique, ce qui ne manque pas d’interroger les passants : « Que faites-vous ? / Nous prenons des photos de la rue […] Mais, pourquoi cette rue ? C’est une rue sans intérêt !  / C’est justement ce qui nous intéresse ! »

Dans « l’infra-ordinaire » photographique, les histoires individuelles et partagées, l’histoire de la rue, du quartier, de la ville se croisent, s’interpénètrent. L’atelier s’est déroulé d’octobre à décembre 2022. Le souvenir et la commémoration des attentats du 13 novembre 2015 imprègnent les dialogues et les images, photographies des bouquets et de l’hommage, narration de l’atmosphère et de la circulation régulée par la police dans les rues alentours, récit du bruit et surtout des silences « comme si la vie s’était stoppée », des images directes ou plus allégoriques comme celle de la devanture du fleuriste débordant sur le trottoir. 

L’atelier d’interrogation photographique de l’habituel est ainsi lieu de rencontre, de création de liens autour d’histoires personnelles et partagées, de découverte autre du lieu jusque dans ses dimensions improbables. La restitution par le livre entrelace aux récits, images et paroles,  de l’intimité du lieu vécu toutes les potentialités d’une réflexion anthropologique et sociologique d’une étude participante de quartier.