L’altérité dans la phautobiographie franco-marocaine d’Hélène Hourmat 

Il est des œuvres qui se forgent patiemment au long d’une vie au fil des passions et des rencontres théoriques ou artistique. Celle d’Hélène Hourmat est de cette trempe au croisement des mythologies personnelles appropriées et des Cultural Studies revisitées sur le mode franco-marocain.

Intéressée par des études d’art ou d’ethnologie elle a opté pour l’histoire de l’art à l’Université de Bordeaux. Après ces études un peu classiques, cependant complétées par une licence de Communication, à la fin des années 1960 grâce au mariage de sa tante marocaine avec un anglais, Londres lui a offert la découverte des pratiques contemporaines. Mémorable exposition Pop Art avec notamment le choc Rauschenberg à la Hayward Gallery et surtout rencontres d’artistes vivant là-bas, d’origines jamaïcaine, indienne ou pakistanaise, premier contact avec un mélange tonique des cultures. Ayant ensuite exercé pendant 40 ans à l’agence Giraudon en tant qu’archiviste en art elle y a entretenu et nourri sa culture visuelle. 

Après une scolarité poursuivie à Tanger jusqu’à la classe de 4e, sa famille vient en France et elle gagne le lycée d’Orsay. De cette époque elle aime surtout se souvenir d’une pratique du dessin, du croquis, du portrait griffonné. La conscience de l’exil qu’elle acquiert alors est due à l’observation pleine d’empathie de sa grand-mère dont elle évoque le sentiment d’intranquillité devant le décalage de civilisation. Le premier personnage essentiel de sa filiation nous introduit à son œuvre, s’y ajoutent la mère et la tante, trio toujours présent dans ses travaux qui deviennent mixtes avec la production de photographies au moyen d’un Olympus Trip. Un autre trio de choix techniques minimalistes gère alors ces réalisations : Montagne, Infini et Portrait !

À côté de cette création personnelle elle a recours à la reprise d’archives de l’album de famille tenu de 1890 à 1960 et qu’elle découpe, monte ou colorise. Ce sont les récits imagés et drôles de ses ascendantes qui l’amènent à composer ces mosaïques jouxtant dessins au trait et photos s’organisant en triptyques et polyptyques. Les couleurs vives qui s’y ajoutent leur redonnent avec une actualité un sens plus fort et une vie nouvelle. 

Pour mieux les communiquer elle utilise des titres qui se réfèrent soit à des lieux « Le jardin d’acclimatation », « La ménagerie du Sultan », soit à des objets comme les 78 tours ou à des cartes postales ainsi l’étonnant nu de « La lutteuse de Rabat ». Ils gardent toujours un aspect poétique, parfois mystérieux. Dans la récupération de cartes postales colonialistes comme les « Scènes et types » l’artiste en importe des écritures agissant en stigmates sur les visages et les corps. 

78 tours, 1984
Lanterne Magique, 1994
Scènes et Types, 2005
Capture d’ektachrome, 2015
Analphabète, 2019.
Lutteuse de Rabat, 2024

Si Hélène Hourmat est devenue l’une des premières artistes françaises à expérimenter les Cultural Studies c’est grâce à la rencontre de deux historiens Pascal Blanchard du groupe de recherche universitaire l’ACHAC par ses conférences lui ouvrait ces nouvelles perspectives, le grec Nikos Hadjinicolaou, auteur de « Histoire de l’art et lutte de classe » paru chez Maspéro qu’elle a contacté l’a initié à ce qui est devenu le post-colonialisme.

La recherche de l’altérité se fait par des rapprochement physiques au coeur de ses images mixtes par le mélange des temporalités où elle inclut parfois des autoportraits s’ajoutant à la coexistence des générations, les sphères de l’intime et de l’historique fusionnent dans le partage des traces d’exils. Dans des installations plus complexes, elle ajoute une dimension sonore et n’hésite pas à les rendre plus actuelles en y faisant figurer des images de type CNN qui témoignent de leur diffusion grâce aux paraboles.

Comme elle l’écrit dans ses notes de travail intitulées Rose des vents :

« Entrelacements d’exils, de textures de voix, rires, cris, fluidité des archives et des identités, multiples passages Orient-Occident, tissages indéfiniment tissés, créent de nouvelles résonances ». 

Si au lycée de Tanger elle reconnait avoir connu, malgré les différences de classe, un cosmopolitisme apaisé socialement elle a pu ainsi développer toute la générosité de son œuvre. Cette dimension humaine et artistique incarne sa double culture franco-marocaine dans une perspective de fiction documentaire alliant la dimension intime à une relecture de l’Histoire des femmes. 

Née à Bayonne (France, Pyrénées-Atlantiques) en 1950, Hélène Hourmat passe sa jeunesse  à Tanger au Maroc. Après une licence d’histoire de l’art et d’archéologie et une licence Techniques d’expression et de communication à l’université de Bordeaux, elle s’installe à Paris en 1974 et se partage entre un poste de documentaliste-iconographe à l’agence photographique Giraudon (spécialisée en histoire de l’art) et des recherches en arts plastiques, peinture, dessin, photographie.

Expositions personnelles
2000 Le Temps du Maroc, MAHJ, Paris.
1999 Institut français, Dresden, Allema
1996 Galerie Sandmann+Haak, Hannover, Allemagne.
1994 Musée Bonnat, Le Carré, Bayonne.
1992 Le Triangle, Rennes.
1990 Jewish Museum, New York, USA.

Bibliographie
— Gattinoni (Christian), Vigouroux (Yannick) La Photographie contemporaine, Scala, 2009
— Chambers (Iain) Culture After Humanism, Routledge, London, 2001