Une recherche archéologique de l’image

À l’ESAD Orléans, la rentrée de septembre 2024 a marqué le début du mois de la recherche, avec l’inauguration du programme de recherche Archéologie Media et Images (PAD AMI) sous la direction de Laurent Baude et de Maurice Huvelin accompagnés des enseignants Ambre Charpier et Julien Levesque. Ce programme de recherche a intégré l’ECOLAB, l’unité de recherche de l’ESAD Orléans. Il part du postulat, désormais acquis, que notre régime écranique contemporain a provoqué une crise ontologique qui a touché de plein fouet nos images. Si elles sont des images physiques, « incarnées par les media dans lesquels elles apparaissent » selon Hans Belting, les media computationnels semblent alors les avoir confinées dans une spatialité restreinte, tout en multipliant les supports. 

Face à cet état de fait, notre recherche interroge l’histoire de notre médialité contemporaine, en considérant les ruptures et les continuités qui ont produit notre régime de représentation, et plus spécifiquement, celui de nos images. Ainsi, notre PAD enquête sur les media oubliés, les imaginaires étranges et les échecs productifs que les grands récits des inventions désormais hégémoniques ont occultés. L’archéologie des media en tant que méthode de recherche nous permet ainsi d’interroger les certitudes matérielles et culturelles posées par nos media contemporains. Puisque nous oublions parfois qu’ils sont et forment un environnement perceptif, nous avons donc les examiner afin d’observer leur infrastructures invisibilisées, leur supposément bonne ordonnance de leur pratique. 

PAD AMI, hybrydation étapes intermédiaires film image par image avant numérisation, prise vue argentique, planche contact cyanotyope, virage au café
PAD AMI, lanterne magique, feutre sur pellicule 135 mm
PAD AMI, meuble d’archives
PAD AMI, Mousetrap et autres camera

Ce mois de la recherche fut un moment d’exploration à l’intérieur de la boîte, en ouvrant les appareils ; nous avons revu la chaîne d’opérations de la production d’images mais aussi produit notre propre recherche visuelle, parfois illisible, quelquefois pauvre d’icônes mais qui pourtant a su mettre en lumière les qualités étranges de nos techniques hybrides et créatives. Certaines de nos images furent inspirées par une histoire de la photographie et de l’image en mouvement réalisée par des figures telles que Félix Nadar, Georges Méliès ou encore William Henry Fox Talbot et son travail édité en 1844 dans The Pencil of Nature dans lequel on retrouve ses photographies d’Orléans lors de son séjour le 14,15 et 16 juin 1843. 

Hybridation, images pauvres et méthodes archéologiques

Le PAD explore les ruptures et les continuités qui s’opèrent entre les media optiques numériques et analogiques (Super 8, argentique, l’appareil à sténopé…). Il examine à la fois l’histoire de ces media, en les considérant comme des supports de diffusion et de production situés de l’image qui ont transformé notre expérience sensible de la vision. Nous réactivons et confrontons des appareils oubliés ou obsolescents à des media contemporains grâce à des hybridations techniques, ce qui nous permet de tirer de nouvelles réflexions sur nos usages de ces techniques mais aussi de problématiser les conditions contemporaines de notre production d’images. 

Tout au long de notre production d’images, nous avons orienté notre protocole autour de plusieurs techniques de prise de vue sans forcément accorder une importance première à la lisibilité de l’image ou à éviter une dégradation de l’image. La pauvreté qui se dégage du registre iconique de ces images révèle pourtant une richesse de textures et de nuances, marquant l’expressivité de leur technique. Décrites par Hito Steyerl comme des images pauvres, elles trouvent leur origine dans la culture populaire, celle des media de masse et de la profusion d’images numériques. Accessibles, communes, duplicables, circulant à toute vitesse en ligne, elles sont considérées par l’auteure comme des témoins de la visualité quotidienne dans une économie croissante de l’image.

Il est essentiel d’élargir notre perspective au-delà de la photographie, du son et de l’image en mouvement afin d’appréhender nos media en tant que media artistiques. Divers dispositifs ont été créés durant les journées de workshop permettant dans un premier temps de comprendre la plasticité de la photographie et du film, de la camera obscura comme phénomène optique à la fixation de la lumière sur des matériaux photosensibles par la production de papier salé. Les techniques analogiques et do it yourself nous ont permis d’identifier alors différentes problématiques de recherche qui furent divisées entre étudiant.e.s pendant ce mois de la recherche.

PAD AMI, room obscura, conservatoire institut Orléans

Voici les différents points de départ de chaque approche : 

Mécanique de l’appareil 

La structure et le fonctionnement mécanique de l’appareil, permettant des moyens de détournement et de réappropriation.

  • Sténopé (DIY, réalisé avec n’importe quel objet disposant d’une cavité dans lequel un simple trou remplace l’optique d’un appareil)
  • Mouse trap (objet usiné qui se réfère à un piège à souris en référence au modèle utilisé par William Henry Fox Talbot en 1835 pour ses premiers clichés)
  • Room obscura 
  • Hybridation scanner et appareil à sténopé
  • Hybridation scanner et agrandisseur NB

Mouvement

L’image-mouvement est au cœur de la pratique du programme de recherche, mettant à l’honneur l’image-fixe pour confectionner des images animées. 

  • Bullet time (sténopé roue de vélo)
  • Photo linéaire (photo finish)
  • Photo scan 3D
  • Stop motion 

Matérialité

Au cœur de l’image (Chimie, physique, pixel, grains…)

  • Super 8 (tournage tourné monté)
  • Super 8 (tank et spire modèle Lomo en impression 3D)
  • Super 8 développement inversible NB
  • Super 8 développement croisé (film kodachrome et agfachrome dans de la chimie inversible NB)
  • Film argentique noir et blanc (prise de vue et dévelopement)
  • développement film argentique couleur C-41 (test)
  • Développement caffenol 2
  • Tirages au papier salé et albumen

Documentation

Le collectif AMI a travaillé sur une documentation auto-ethnographique qui participe à fonder et suivre les différents processus et techniques employés. La documentation hybride retrace l’ensemble des questionnements et protocoles de ces expérimentations notamment sous forme de fiches synthèse : 

  • prise de vue à la volée (smartphone, …)
  • photographie numérique et argentique 
  • polaroid
  • VHS
  • écrits
  • interview et entretiens
  • notes de synthèse pour le meuble à archive

La conception d’un « meuble archive », objet manifeste, témoigne d’une volonté de classement et de conservation d’images, d’objets techniques et de notes de synthèse. L’ensemble forme une base de données permettant la réactivation de pratiques et procédés archéologiques inhérents à la photographie. La relation à l’archive auto-ethnographique incarne le pouvoir inhérent à l’accumulation, la collection et le stockage, autant que le pouvoir propre à la maîtrise du lexique et des règles du langage.

Nous avons également eu l’honneur d’accueillir les invité-e-s du mois de la recherche. 

Anaïs Boudot, Emmanuel Guez, Louise Cotte et Jacques Perconte nous ont honorés de leur présence, pour partager avec nous leurs connaissances sur leurs pratiques respectives et nous permettre d’échanger notamment sur les théories de l’archéologie des media, la fascination pour le travail de laboratoire, le processus de production, et la compréhension de la matière photographique. Nourris par ces discussions, nous avons entrepris diverses expérimentations sur l’image, répartis en groupes dans les ateliers et laboratoires pour favoriser le partage de nouvelles connaissances. 

Revoir la pratique, héritée des accidents

Ce mois de recherche a été pour l’ensemble du collectif, une exploration esthétique où notre sensibilité à l’argentique, en tant que pratique à haute maîtrise technique, rencontra l’intensité créative des media numériques. Notre position productive est manifeste d’une activité artistique qui privilégie le processus, autrement dit une recherche créative délaissant volontairement l’objet fini et ses images riches, pour une hybridité décomplexée et des textures visuelles. Les protocoles de chaque expérimentation, puisque documentés dans nos fiches de synthèse, permettent d’interroger la pertinence de nos media face aux enjeux contemporains et aux technologies numériques.

De l’atelier au laboratoire, ce temps de recherche est devenu, pour nous, un moment d’expérimentation dans lequel nous nous sommes familiarisés avec les accidents techniques et esthétiques que d’autres ont obtenus avant nous. Cependant, ces erreurs deviennent pour nous le point de départ d’une recherche plastique, statuant ainsi que l’erreur est un événement artistique lié à un processus technique de production picturale. En acceptant l’erreur photographique comme inhérente à ce procédé, nous nous délivrons d’une allégeance à l’objectivité mécanique pour une relation artistique à l’image et son médium de production ; cette expérience collective s’est révélée devenir une pratique qui évolue avec son temps et ses mœurs. Elles ouvrent un champ de recherche aux artistes dans l’optique de faire communiquer un héritage technologique à une réalité contemporaine de la pratique de l’image fixe à l’image en mouvement. 

Une sélection de travaux du PAD AMI sera présentée lors de la journée porte ouverte de l’ESAD Orléans, le 01 février 2025.

PAD-AMI, 10/10/2024, Restitution, photo Vincent Dalbera

Ce travail collectif a été mené du 9 septembre au 10 octobre 2024 par les étudiant.e.s de 4ème année, de 5ème année, une DSRD et les enseignant.e.s du PAD avec le soutien théorique et pratiques d’intervenant.e.s : Anaïs Boudot, Emmanuel Guez, et Jacques Perconte.

4e année : Lou-ann Chotard, Axelle Glon, Hayoung Jeong, Anna Jondeau, Margot Lepetit, Marlyse Louzet, Théo Michaud, Sarah Oulahbib, Camille Suzanne 

5e année : Hugo Delattre, Cléa Delemontey-Racle, Chloé Villeneuve, Axel Martinache

Étudiante chercheure associée en DSRD : Louise Cotte

Enseignant.e.s chercheur.e.s de l’ECOLAB : Laurent Baude (direction PAD AMI), Maurice Huvelin, Ambre Charpier, Julien Levesque

Responsable de l’unité de recherche ECOLAB : Caroline Zahnd