Cette édition 2024 des Promenades photographiques de Blois confirme leur installation dans cette ville. Sous la double direction d’Odile Andrieu et Cédric Marmuse, elle donne à voir des propositions singulières sous le thème rassembleur « Ce qui nous lie ». Les propositions contemporaines dont celles de beaucoup de femmes (9 sur 17) y sont nombreuses même si cette programmation est dominée par une exposition historique remarquable, celle d’Edward Curtis sur les Indiens.
Les liens sont d’abord ceux qui unissent un enseignant à ses étudiants, le collectif Les Costiens rend hommage à Henry Coste (1926-2011) qui fut leur enseignant hors normes dans les années 80. Sous l’égide de l’IDA (Institut de l’Audiovisuel) de 1978 à 1993, il a dirigé cette formation professionnelle prise en charge par l’État qui se déroulait sur deux ans. Plus de 160 photographes en ont bénéficié, une sélection de 25 d’entre eux regroupe photographies personnelles et artistiques illustrant la grande diversité de leurs travaux.
Ces liens unissent aussi deux créateurs de projets documentaires Axelle de Russé et Thomas Morel-Fort lauréats de la Bibliothèque nationale de France pour la grande commande Radioscopie de la France, un projet à la chambre photographique. Avec le même appareil, ils explorent dans 13 régions françaises les lieux et acteurs qui animent le spectacle vivant en France. Des portraits posés jouent de la dynamique du spectacle et de la performance propre à chaque acteur.
Deux relations poétiques au réel dans une approche masculine sont hébergées à la Fondation du doute. Né en 1983, Sébastien Salamand dit Le Turk crée des clichés hauts en couleur, scénographiant des personnages baroques et nostalgiques. Dans son atelier il dessine et construit lui-même ses propres décors, où ses personnages prennent la pose. Ses images, faussement naïves et colorés, assument toute leur valeur dans le jardin de la Fondation.
Jean-François Spricigo représenté par la galerie Camera Obscura propose une vision éclatée de l’outre-mer liée à la marche où la relation se fragmente selon les deux composantes du titre Nous l’horizon resterons seul dans ces contrées lointaines « bordées de l’infini du ciel auprès duquel pressentir l’infini en soi. » quand « le vertige des gouffres est celui des révélations. »
Deux approches plasticiennes au féminin sont accrochées côte à côte dans les nouvelles salles attenantes à la Roseraie de l’Archevêché. Joséphine Michel diplômée de l’ENSP d’Arles et titulaire d’un Master of Philosophy du Royal College of Art, explore les relations de la photographie et du son, Fin 2023 elle a publié son livre Syrinx, réalisé en en collaboration avec l’anthropologue britannique Tim Ingold. Travaillant en termes d’empreinte, de texture et de réverbération, ses plans rapprochés de plumes et d’yeux, oscillent entre incarnation et abstraction, « Suggérant une écoute des regards et une vision des sons, elle ne montre pas l’oiseau dans le paysage, mais l’oiseau comme un paysage. »
Marion Dubier-Clark se forme à la photographie à l’école EFET. Elle a publié l’an dernier The Next Generation. Ambassadrice Fuji depuis 2014, elle continue à travailler au format carré. Elle constitue depuis plusieurs années un fonds iconographique entre photographie vernaculaire et nouvelle objectivité. Avec sa technique mixte de fil et de photo, elle fait œuvre quasi picturale, d’une grande puissance formelle.
Trois jeunes artistes expérimentent des fictions documentaires sur des sujets historiques ou sociétaux. Céline Croz, franco-marocaine, a reçu une formation en cinéma, elle est représentée par la galerie Sit Down. Au Venezuela, au milieu des corps déterrés et des linceuls ce chaos, une plante prolifère : la Mala Madre. Dans une forme proche du conte, elle imagine une femme éperdue d’amour qui se transformerait en Mala Madre et deviendrait la mère de tous les « laissés derrière ». Elle évoque ainsi différemment la réalité tragique que vit le Venezuela depuis 2015.
Tiphaine Populu de la Forge dans Solastalgia transcrit les inquiétudes et menaces écologiques sur la planète. Ses diptyques couleurs
fusionnent le microcosme de la demeure en ruine au macrocosme de la planète vu selon l’imagerie satellitaire. Elle illustre avec subtilité le paradigme de la terre malade.
Franciska Legat (née en 1997 à Budapest, en Hongrie où elle vit et travaille. Diplômée de l’université d’art appliquée Moholy-Nagy, où elle a obtenu une licence de photographie en 2021, elle y prépare actuellement un master. Lauréate du Prix Mark Gosset-SAIF 2023. sa série Hellish Eden (Paradis Infernal) renvoie à la dualité et à l’absurdité du régime communiste hongrois des années 1970 et 1980. « D’après les récits de mes parents, je capture des situations imaginaires envisageables à cette période mais qui n’ont jamais réellement eu lieu. J’ai pour but d’estomper la frontière entre la fiction et le réel. »
Deux expositions historiques complètent cette programmation variée. En cette année de jeux olympiques, c’est une excellente initiative de proposer sous l’égide du trio Sport, science et photographie les recherches de Georges Demenÿ (1850-1917). Collaborateur d’Étienne-Jules Marey à la station physiologique du Parc des Princes, il collabore à l’étude du mouvement humain et animal à l’aide de la chronophotographie. Il développe parallèlement une méthode scientifique d’éducation physique qu’il enseigne à l’université jusqu’à son décès et fera référence en France.
Odile Andrieu a choisi dans la collection de la libraire du Congrès à Washington, un ensemble d’œuvres Edward Sherif Curtis (1868-1952) photographe-ethnologue américain. Elle les réunit sous ce titre L’homme qui dort sur son souffle. Sioux, Pueblos, Blackfeets, Cheyennes, Apache, Hopis pendant près de trente ans, Curtis a parcouru le continent à la rencontre de plus de 80 tribus en gagnant leur confiance. En 1930, au terme du projet, il avait pris environ 40000 clichés et rédigé des milliers de pages dont il publia une partie dans les vingt volumes de son impressionnante série : L’Indien d’Amérique du Nord. Photographe devenu anthropologue/ethnologue, celui que les Indiens nommèrent « l’Attrapeur d’Ombres » passera 30 ans de sa vie à capturer et garder trace de la mémoire de nombreuses nations amérindiennes, les native americans.