Dans la plupart des œuvres de cette exposition à Urban Gallery Marseille, dont le titre est Résonances magnétiques, Ariane Maugery fait apparaitre diverses figures à partir de la multiplication de signes graphiques plus ou moins différents. Ces éléments graphiques restent toujours parents, et ce, même quand elle change de médium ou de type de support. De fait, en regardant les diverses œuvres de l’exposition, il y a lieu d’admirer la variation des possibles que développe l’artiste. On a le sentiment qu’avec des moyens très simples elle rejoue ici la création d’un monde qui lui est propre. Majoritairement les dessins sont exécutés à l’encre noire sur papiers blancs, mais très vite notre regard est sollicité par des créations plus complexes avec des couleurs multiples et par l’ajout de plusieurs projections vidéo sonores.
On notera d’entrée la constance d’un travail de dessin inventif à base de multiples petits tracés. Il semble que cette primauté du dessin soit là pour permettre à la créatrice la mise en condition à partir d’une gymnastique plus mentale que corporelle. Nous ne sommes pas dans une pratique graphique gestuelle, mais il y a pourtant quelque chose du geste dans l’assiduité à ordonner les multiples petits signes qui constituent ses dessins. Parce que les moyens plastiques sont plus réduits dans les œuvres graphiques noir et blanc, celles-ci sont plus explicites sur les orientations stylistiques de l’artiste. Il est alors plus facile de déterminer les relations entre les formants plastiques et d’évaluer les conséquences de leur intuitive (ou réfléchie) élaboration.
Cette exposition entraine le spectateur dans un parcours exploratoire bondissant entre des dessins de diverses tailles, quelques peintures avec des suggestions de silhouettes humaines, des créations volumiques et deux vidéos sonores. Cela entraine des approches perceptives multiples. Il faut changer d’attitude pour apprécier les dessins pour lesquels on peut voir l’ensemble d’une figure en spirale comme dans les œuvres intitulées Moonlight shadows, et se confronter ensuite à d’autres créations graphiques que l’artiste appelle fresques graphiques. L’une se développe horizontalement, Heartquakes, fresque graphique à l’encre de chine sur papier, 320 x 150 cm. L’autre est verticale, Wuthering black holes, Tornade, 2024 ; elle est dessinée à l’encre de chine sur un rouleau de papier, 265 x 134 cm. Le haut du dessin est accroché au plafond tandis qu’un rouleau conséquent reste au sol. Dans ces deux cas l’approche du regardeur sera double. Si de loin il perçoit la figure globale (la tornade) lorsqu’il s’avance pour voir la facture graphique son œil rentre dans un monde de petits traits à l’encre qui eux même se regroupent pour former de petites formes torses qui elles même favorisent dans ce dessin le mouvement d’ascension qu’annonce le titre. On reste très loin d’une tentation réaliste. Le spectateur, surtout si il est lui-même quelque peu averti, admire la facture : des milliers de traits tout à la fois semblables et différents qui constituent la singulière texture de l’œuvre. Dans la mesure où la surface du dessin est importante cela signifie que cela a demandé une phénoménale durée d’exécution pour l’artiste. L’espace plastique créé ici conduit aussi le visiteur à l’expérience du temps. Cette folle rigueur que s’impose l’artiste est, d’une manière ou une autre, un moyen d’éprouver une jouissance particulière dans sa démente entreprise. Les regardeurs intéressés vont pouvoir à leur tour trouver divers plaisirs à parcourir ce monde graphique dans tous les sens sans jamais épuiser leurs découvertes de ces mondes alternatifs faits de signes qui s’avèrent tous bien différents malgré leur parenté. La densité des tracés s’approche à certains endroits de la saturation ; pourtant ce que Gilles Deleuze appelait « la catastrophe » est évitée. (Je fais ici référence à l’ouvrage posthume qui sous le titre Sur la peinture reprend, aux éditions de minuit, la retranscription des cours du philosophe à Vincennes, 1981). Nous voudrions insister là-dessus, car c’est peut-être là le moment de bascule du graphique vers l’artistique de Ariane Maugery.
Cet instant charnière que signale le philosophe dont il trouve des occurrences dans le « diagramme » de Bacon, comme dans « le point gris » de Paul Klee. Pour ce dernier celui-ci agit en deux moments : « le point gris comme chaos et ce point gris qui saute sur lui-même pour se déployer comme germe de l’espace. » (op. cit. p. 51)
Il nous a semblé qu’un lieu nodal sur la gauche du grand dessin déjà évoqué (la tornade) pouvait avoir évité la catastrophe. Tandis que dans d’autres dessins l’accumulation des petits graphes noirs laisse dans leur déploiement apparaitre des étonnantes réserves blanches avec des découpes complexes qui viennent pour le moins éclairer la page. Dans certaines œuvres c’est à partir des bords de celles-ci que naissent les couleurs multiples, comme pour Swarming birds, et aussi à partir de là que des figures prendront leur envol dans les vidéos.
Le dessin est vraiment très présent dans les créations de Ariane Maugery mais la couleur peut aussi venir jouer son rôle, notamment par les projections vidéo qui installent un monde supplémentaire aussi bien sur les créations volumiques, ce que sur les figures planes. C’est bien une des directions des recherches créatives de cette artiste, elle installe de la vie dans des mondes statiques. Elle le faisait avec une vidéo de sa création projetée sur une pierre dressée présente dans les collections du musée de Gap, elle le fait ici aussi bien pour Paysage néguentropique une installation de modules de résine époxy travaillés par des graphismes à l’encre de chine sur lesquels est projetée une vidéo sonore en boucle. Le champ de la projection déborde en tous sens, en image et en jeux de lumières, la création volumique.
Dans l’autre installation avec une vidéo sonore, titrée Swarming birds, ce sont des vols de pseudo oiseaux qui parcourent les dessins faits avec de l’encre noire et aussi de multiples couleurs. Les effets sont très réussis tant pour les incertitudes d’identification que par la cadence des rythmes des mouvements et des sons. On apprécie de pouvoir regarder plusieurs fois ces effets conjugués vidéographiques.
De par la taille des créations graphiques proposées, il est nécessaire pour apprécier ces créations de faire l’expérience corporelle de la visite de l’exposition : elle est à découvrir ou revoir à Urban Gallery Marseille jusqu’au 23 janvier.