Une pièce d’Aurélien Bory
« Invisiblili » d’Aurélien Bory a été entièrement construit sur une fresque palermitaine « Le triomphe de la mort », œuvre d’un peintre inconnu datée de 1446. Pour lui rendre hommage dans sa grande puissance esthétique et narrative il a réuni un saxophoniste, un chanteur et danseur et quatre danseuses.
Aurélien Bory actif depuis les années 2000 dirige la compagnie toulousaine 111. Il est connu pour faire l’invention d’espaces dans leur dimension sensible. Rosita Boisseau qualifie son style antérieur comme « abstraction suggestive du théâtre physique ». Invité par le Teatro BIondo de Palerme pour lui la ville était marquée par la double influence du peintre Antonello da Messino et de Pina Bausch et sa pièce Palermo Palermo montée dans le même lieu en 1990. Parti en quête de l’Annunciata de Messino le chorégraphe il entre dans la chapelle et se trouve face à l’immense fresque de 6 m sur 6. La mort y chevauche son cheval décharné qui aurait inspiré Picasso pour Guernica. Il est frappé par la narrativité de l’ensemble ainsi que par la structure très dynamique de la composition.
Pour construire sa pièce il fait réaliser une copie à grandeur de la fresque produite sur toile. Tout au long de la pièce elle est mue par des dispositifs qui la lèvent, l’animent, la froncent l’utilisant à la fois comme décor intégral et rideau de scène rythmant les entrées et sorties des danseurs.
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C’est le saxo qui ouvre la pièce et déclenche la première levée dans son cadre de l’œuvre dupliquée. Un danseur s’en extrait, il longe la toile semblant la caresser de la main ouverte, avant une déclaration générale sur l’humanité. Trois danseuses le suivent. Le corps de l’une d’entre elles s’abandonne à la manipulation pour lui imposer des postures évoquant la statuaire. D’autres manipulations d’un corps féminin par des intervenants en blouse blanche veulent évoquer le cancer du sein. D’autres types de menaces sur l’humain illustrent physiquement les secousses telluriques en Sicile avec des tremblements agitant les corps des danseurs et des chaises vides se déplaçant mécaniquement.
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Cette œuvre est complexe qui en dehors de la figure centrale de la mort avec sa faux sur sa monture famélique réunit divers acteurs de cette société contemporaine de la peste noire. En guise de signature sur la gauche un peintre et son apprenti, au centre toute une population évêques, troubadours, chevaliers. Sur la droite deux musiciens invitent à la danse un groupe de femmes se tenant par la main à la mode des danses folkloriques de l’époque. Pour analyser chorégraphiquement sa composition Aurélien Bory recourt soit à l’extraction par ses interprètes de figures ou de postures qu’ils réincarnent soit à des projections de gros plans vidéo qui se superposent à l’ensemble en les mettant en lumière.
L’ensemble de la dernière séquence de la pièce est un progressif passage au noir sous l’action d’une tempête amorcé par l’arrivée d’un d’un jeune danseur nigérian portant sur son dos un canot gonflable qui évoque tous les mouvements migratoires maritimes. L’embarcation un moment tenue au centre inférieur de la toile semble figurer un portail d’église, mais son destin naufragé se confirme vite. La violence des tempêtes et la mort sont accompagnées des riffs du saxo tandis qu’un harmonium joue mécaniquement au centre du plateau accompagnant l’agonie des migrants.
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