Fuir les identités, explorer nos altérités 

MASCARA-DES ! 
Fondation du doute Art contemporain / Fluxus, 
BLOIS, 8 Février - 11 Mai 2025

Directeur de la Fondation du doute et commissaire de l’exposition, Gilles Rion considère que l’authenticité, le fait de devoir assumer ce que l’on est, nous confronterait à une injonction absurde.

Que ce soit dans la vie psychique, dans l’existence sociale, et encore plus dans la manière dont de nombreux artistes construisent leurs identités au pluriel, comme l’artiste belge Messieurs Delmotte pour qui l’apparence défie l’insoutenable identité de l’être comme le dogme de l’unité d’un Sujet. 

Messieurs Delmotte

Déjà, à l’entrée de l’exposition, une vitrine présente une sélection de livres en provenance des collections du Centre des livres d’artistes, CDLA, 87500 Saint-Yrieix-la-Perche, qui sera renouvelée fin mars – Arnulf Rainer, Michel Journiac, Yoko Ono, Cindy Shermann et d’autres, histoire de montrer à la fois la permanence et la diversité de ce transformisme d’artistes. L’exposition se cantonne à six artistes dont certains ont produit des créations : des variations poétiques autour des contes de fées par Aurore-Caroline Marty, des costumes perturbants et une évocation de l’univers du cirque par Romuald Jandolo, une évocation de son voyage au cœur du Japon pour y présenter ses créations-créatures textiles en hommage aux esprits yokaï pour Stephan Goldrajch.

Des mascarades

L’intitulé de l’exposition résume par la notion de « mascarade » la volonté de devenir-autre et de se déprendre de soi. Des « mascarades », transformations radicales où le maquillage voire le masque est combiné au déguisement, sont illustrées par le photographe Charles Fréger dont le travail proche de l’enquête anthropologique les a débusquées : il a parcouru de nombreux pays en Amérique et dans les îles Caraïbes pour y photographier des tenues de carnaval. Son livre Cimarrón: Freedom and Masquerade documente la façon dont d’anciens esclaves noirs en fuite, parfois réfugiés chez des natifs américains, célèbrent des carnavals dont les splendides costumes, tirés à grande échelle, nous ébahissent. Dans ces rituels de carnavals, moments grandioses de fête et de dépense, se déploie une maîtrise de l’art des masques et des costumes qui capture l’attention : les déguisements transfigurent totalement la personne qui les revêtent pour la transformer en personnage. Cette volonté d’être autre, qui suscite une inquiétante étrangeté pour les regardeurs, exprime leur liberté souveraine.  

Charles Fréger, Spy boy Doe, Mardi gras indians, 2014-2018 145 x 110 cm
Charles Fréger, Spy boy Doe, Mardi gras indians, 2014-2018 145 x 110 cm
Charles Fréger, Negritas puloy Barranquilla, Atlántico, Colombie 2014-2018, Tirage jet d’encre contrecollé sur aluminium, 101 x 77 cm
Charles Fréger Médsen lopital, Fort-de-France, Martinique, France, 2014-2018, Tirage jet d’encre, contrecollé sur aluminium, 101 x 77 cm

Être hors de soi

Messieurs Delmotte, un artiste qui vit à Anvers, se compose dans la vie un personnage de dandy post-décadent. En tant qu’artiste, sa haine des selfies comme de l’identité en général se manifeste par des hétéro-portraits où ils se transforment radicalement et se multiplient par l’application de masque et/ou de maquillage, tout en refusant d’intervenir sur l’image photographique après les prises de vue. Par ailleurs, ce dessinateur s’empare des clichés ou des personnages emblématiques de la bande dessinée, Belgique oblige, pour les détourner. L’humour, l’ironie, la dérision et le grotesque le caractérisent. 

Autre belge, Dominique Théâte, pour sa part est rattaché à l’art brut, travaille près de Liège dans le Grand Atelier La « S » à Vielsam, un haut lieu de création, depuis plus de vingt ans. Après un accident de moto aux lourdes séquelles, cet étudiant en art retrouve une voie expressive avec des dessins schématiques qui le projettent dans des identités alternatives incarnant son moi idéal – figures de catcheur, hétéronymes ouvrant son imaginaire à d’autres vies que la sienne, comme Barbe Bleue Ses dessins sont pour lui des moyens d’accéder à des existences autres. N’est-ce pas l’une des principales fonctions de l’art ?

Dominique Théate, Dominick et Barbe Bleue, 2009
Technique mixte sur papier - 50 x 65 cm
Inv. THEA-0150 - Collection La « S » Grand Atelier, Vielsalm
Dominique Théate, Dominick et Barbe Bleue, 2009
Technique mixte sur papier – 50 x 65 cm
Inv. THEA-0150 – Collection La « S » Grand Atelier, Vielsalm

Le parcours de l’exposition invite à un exercice de méditation afin de se défaire de toute tentation de narcissisme –  penchant souvent trop présent dans la littérature et l’art contemporain : « Si la vie n’est rien d’autre qu’une immense mascarade, alors s’ouvre à nous un nouvel horizon, particulièrement exaltant et libérateur : contre les avatars de la quête intérieure et autre introversion monacale, l’art du masque s’affirme comme un bricolage conscient, extraverti et joyeux de personnages, propre à mettre en crise l’existence d’un Sujet », affirme Gilles Rion dans sa présentation de l’exposition.