
Cornelia Bentley Sage Quinton. Une pionnière de l’art américain
Camille Mona Paysant
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« La nomination méritée de Mlle Cornelia Bentley Sage au poste de directrice permanente de la Albright Art Gallery de Buffalo, N. Y. […] témoigne de l’appréciation croissante par les musées du fait qu’une femme peut avoir des capacités exécutives suffisantes pour occuper un poste aussi important […] ». Le court article de félicitations paru en page 4 dans l’édition du 29 octobre 1910 de l’American Art News, reproduit dans le livre, pourrait résumer le propos de l’ouvrage sur le combat de compétence et d’investissement lié au fait d’être « malheureusement du genre féminin » (« my infortunate sex might make a difference », lettre de Cornelia B. Sage du 29 juillet 1909) dans le milieu muséal du début du XXe siècle.
Après une courte biographie, « une enfance bercée par l’art et la littérature », le livre se focalise sur les années passées à l’Albright Art Gallery, depuis la lettre envoyée en 1904 à Charles M. Kurz, premier directeur du musée – « Je suis si heureuse d’avoir l’opportunité de faire quoi que ce soit sous votre direction, et j’espère que vous me trouverez utile d’une manière ou d’une autre » – jusqu’au départ de Cornelia B. Sage et de son mari William Warren Quinton en 1924 pour le California Palace of the Legion of Honor.
Musée et galerie, destiné à offrir un espace d’exposition permanent à la Buffalo Fine Art Academy et à faire de Buffalo « un centre artistique », l’Albright Art Gallery est inauguré en 1905 par l’exposition d’un prêt d’œuvres d’artistes européens et américains. Charles M. Kurz imagine et façonne l’identité de la galerie en institution dont la programmation connecte le local et le global, avec la volonté d’ouvrir le musée à la photographie. Une publication, Academy Notes, communique sur les expositions du musée et l’actualité des arts.
Formée au contact de Charles M. Kurz, dans un poste d’assistante qui semble mal défini, Cornelia B. Sage supplée le directeur en assurant la permanence du musée, la gestion des projets et la création d’un réseau artistique autour du musée. Désignée pour assurer temporairement les fonctions du directeur au décès de Charles M. Kurz, au moment où s’ouvre la première exposition itinérante, Cornelia B. Sage est nommée directrice adjointe et élue en 1909 membre active du Conseil de l’American Association of Museums, puis directrice en 1910. La nomination et l’élection « inédites » furent diversement commentées dans la presse, entre soutien de la presse locale, reconnaissance des qualités et de l’action de la nouvelle directrice et indifférence. L’article de l’American Art News « A woman Art Director » d’octobre 1910 est relayé dans les milieux féministes et suffragistes, américains et étrangers ; le journal britannique Votes for Women en reprend les termes sous le titre « Executive Ability » en mars 1911 : « Cette nomination témoigne de l’appréciation croissante du fait qu’une femme peut avoir des capacités d’exécution suffisantes pour occuper un poste aussi important ». Cornelia B. Sage « s’affirma dès lors comme une femme de réseaux ».
Poursuivant et développant les idées et les défis de Charles M. Kurz, Cornelia B. Sage organise l’Exposition internationale de photographie pictorialiste (novembre-décembre 1910) avec Alfred Stieglitz, avec qui elle entretient « une relation simple, fluide et féconde », et la Photo-Secession, plus de six cents tirages, quatre groupes nationaux et soixante-cinq exposants. Selon Charles H. Caffin, l’exposition établit « de manière incontestable les capacités picturales du médium [photographique…] « Avez-vous vu l’exposition de Buffalo ? » Si la réponse est « Non », on peut rétorquer : « C’est dommage, car vous auriez alors été mieux placé pour savoir de quoi vous parlez » (Camera Works, n° 33, 1911, p. 21). La programmation de l’Albright Art Gallery est alors « associée au combat pictorialiste » ; expositions et salons se succèdent jusqu’en 1924, avec notamment l’Exposition des Grands Maîtres de la Photographie (David Octavius Hill, Dr. Keith, Julia Margaret Cameron, Lewis Carroll) organisée par Alvin Langdon Coburn, qui inaugure une histoire de l’art photographique et justifie sa place au musée : « Rodin lui-même considère [la photographie] comme une très importante branche de l’art » (correspondance de Cornelia B. Sage, 1913).
Francophile, Cornelia B. Sage voyage en Europe et entretient une nombreuse correspondance avec les professionnels de l’art et les artistes européens qu’elle expose et soutient pendant la Première Guerre mondiale, développant « une vision décloisonnée de l’art » (peinture, sculpture, arts graphiques, tapisserie, design textile…) et « une vision contemporaine du musée ». Impliquée dans de nombreuses organisations, collectifs et associations qu’elle contribua à fonder, elle développe, dans une approche collaborative, une logique de réseau institutionnel qui se reflète dans la programmation de l’Albright Art Gallery, notamment dans les prêts croisés, tout en déployant un militantisme pour promouvoir la place institutionnelle des femmes.
Comme l’écrit l’autrice, Camille Mona Paysant, en conclusion, le livre est un hommage à Cornelia B. Sage, « une tentative de valorisation de l’œuvre », et, au-delà, un appel à « de multiples études autour de femmes artistes et photographes ».
L’ouvrage se partage en deux parties à peu près égales de plus d’une centaine de pages chacune, le texte de l’autrice et un large dossier documentaire constitué de portraits, d’extraits de catalogues, d’invitations aux expositions, d’articles de revues (Academy Notes, American Art News), de coupures de presse (Votes for Women…), de reproductions de correspondances, de photographies d’accrochage…, une invitation très documentée, jusque dans le détail des échanges épistolaires et des réseaux, à repenser, entre collaborations, institutionnelles et privées, et engagements personnels, l’histoire de la photographie dans le domaine des arts et la place qu’ont occupée les femmes et leur combat pour la reconnaissance professionnelle, dans la promotion de la photographie, tant aux États-Unis qu’à l’international. On peut peut-être regretter que le livre se termine sur le départ de Cornelia B. Sage de l’Albright Art Gallery et espérer une suite
Jean-Marie Baldner, avril 2025