Sylviane Van De Moortele présidente de l’association Pour l’Instant administratrice du projet de la Villa Pérochon à Niort a été interpellée par Marie Docher comme d’autres responsables de lieux pour établir le taux de participation féminine aux expositions. En 2021 elles se sont retrouvées et la militante a demandé à l’écrivaine de narrer ce combat « contre l’invisibilité où les femmes étaient tenues dans le domaine de la photographie ». D’où le titre de cet essai Femmes photographes. Dix ans de luttes pour sortir de l’ombre publié par les éditions Loco fin 2023. Dix années de militantisme, de débats, de confrontations qui ont ouvert le milieu de la photographie à plus de diversité.
L’auteure a appliqué sa méthode de biographe, partant d’entretiens avec les instigateur.ices des faits et nourrissant ses propos par une documentation variée : « articles de presse, catalogues d’expositions, résultats d’études, interviews, captations de conférences ». Elle aborde bien entendu la question du genre, mais aussi les personnes racisées, le fait colonial et postcolonial, l’enseignement, le sexisme, le harcèlement…
Marie Docher a suivi des études supérieures de commerce et de sociologie. Dans son établissement supérieur elle a fréquenté assidument le labo photo qui ne servait pratiquement pas. D’un point de vue théorique, elle a rencontré Odile Fillod, chercheuse en sciences sociales, qui l’a initiée à la lecture d’ouvrages de sociologie et de théoriciennes féministes dont Marie Buscatto, et son livre Sociologies du genre.
Tout commence par un pseudo masculin, Vincent David, pour être prise au sérieux (sic), et un site Atlantes et Cariatides, deux initiatives qui commencent son action militante en 2014 par une lettre ouverte adressée à Jean-Luc Monterosso, alors directeur de la Maison européenne de la photographie. Critiquant le fait que : « depuis 1996, la MEP a présenté 280 expositions individuelles, et 82,5 % d’entre elles montraient des travaux réalisés par des hommes. Le Jeu de Paume et le Centre photographique d’Île-de-France à Pontault-Combault représentaient respectivement 35 et 39 % des expositions.
Officiellement un rapport du Sénat mené par Brigitte Gonthier-Maurin, La Place des femmes dans l’art et la culture, paru en 2013 évoquait les difficultés de cette situation. Même constat dans Photopoche des éditions Robert Delpire, les hommes y représentent 91.7 % du catalogue. Parallèlement les femmes sont 69.2 % aux Rencontres de la jeune photographie internationale de Niort, 65.2 % aux Boutographies de Montpellier, 61.9 % aux Promenades photographiques de Vendôme. Deux autres manifestations s’approchent de la parité : Circulation(s) à Paris avec 46.7 % de femmes, et 46.5 % aux Itinéraires des photographes voyageurs (Bordeaux).
Mais il faut rappeler que si le fonds photographique du Centre national d’arts plastiques (Cnap) est constitué à 78.3 % d’œuvres d’hommes, c’est dû à l’action d’Agnès de Gouvion Saint Cyr qui y a exercé un pouvoir très autoritaire. Ce type de personnalité est dénoncé par Marie Docher en tant que cariatides qui supportent le système patriarcal. Parmi les personnalités non citées dans le livre, Pascal Beausse qui lui a succédé a rétabli l’équilibre de genre. C’est qu’il est présent dans les écoles d’art, va dans les ateliers et participe à de nombreuses lectures de portfolio. Ce qui n’était pas le cas de Régis Durand ni des responsables de FRAC, hommes ou femmes, qui se contentaient de suivre leurs collègues qui ont fait de Jean Le Gac le plasticien le plus présent dans les collections et de Raymond Depardon l’artiste officiel qui y a perdu son âme après la superbe Ferme du Garet.
Des initiatives institutionnelles ont cependant eu lieu. Le Musée national d’art moderne programma de mai 2009 à février 2011 la grande exposition Elles@centrepompidou, laquelle ne présentait que des œuvres de femmes issues de la collection du Centre. Camille Morineau, en était la commissaire principale elle a choisi plus de 1000 œuvres de 300 artistes (plasticiennes, designers, photographes, architectes, vidéastes, cinéastes, performeuses…) du début du xxe siècle à 2009
Le 14 octobre 2015 s’ouvre l’exposition Qui a peur des femmes photographes ? entre l’Orangerie (période 1839-1919) et le musée d’Orsay lui-même (période 1918-1945) Marie Robert, conservatrice de la photographie au sein de l’établissement, a été chargée du projet. Cette double exposition s’ouvre dix jours avant la table ronde que Marie Docher prépare pour la Maison européenne de la photographie.
Marie Robert a entamé un cours à l’École du Louvre (qui se déroule de 2014 à 2017), qu’elle a intitulé Femmes et photographie, et dans lequel elle décrypte ces faits et situations à l’intention de ses étudiant·es
En 2020, malgré la crise du Covid-19 d’autres projets d’importance sont mis en œuvre, Marianne Théry – directrice des éditions Textuel confie à Marie Robert et Luce Lebart le livre qui réunit trois cents femmes photographes et cent soixante autrices.
Marie Docher a conçu l’évènement Ni vues ni connues ? comment les femmes font carrière (ou pas) en photographie comme une table ronde rassemblant des chercheur.euses en sociologie, des femmes politiques, des commissaires d’exposition, des enseignant.es, des critiques d’art. J’ai eu le plaisir et l’honneur d’y participer pour parler de la situation dans les écoles d’art.
Sylviane van de Moortele rappelle que « dès sa création en 1926, l’École nationale de photographie et de cinématographie – ENPC, devenue école Louis-Lumière se caractérise par la mixité de ses effectifs d’élèves – fait exceptionnel pour la période, a fortiori pour une école technique, entre 1946 et 1975, le taux de diplômées en photographie passe pourtant de 50 % à moins de 10 %.
Pour Arles rappelons que si nous avons été Arnaud Claass, Christian Milovanoff et moi les seuls enseignants permanents nous avons pu inviter de nombreuses théoriciennes et femmes artistes. Si pour le concours d’entrée nous n’avions jamais eu de quota à partir des années 90 nous avons recruté une majorité de jeunes femmes, c’est que leur dossier comme leur prestation étaient les plus convaincants.
Un autre dispositif important pour cette reconnaissance des femmes au sein du métier qui n’est pas mentionné dans le livre est la Validation des Acquis de l’Expérience que j’ai pu mettre en place à l’ENSP à la demande de Patrick Talbot, dispositif généralisé à l’ensemble des écoles d’art et universités.
Toutes les autres initiatives ont été le fait de personnalités féminines qui accèdent à des positions de décision ou de la mutualisation de ses énergies au sein d’associations.
L’association des Filles de la Photo voit le jour. En 2017 elle est la structuration d’initiatives portées par Marion Hislen qui a créé en 2005 avec Valérie Lambijou le collectif Fetart Lequel collectif, toujours sous son impulsion, a lancé cinq ans plus tard le festival Circulation(s)
L’année 2018 va voir se dérouler plusieurs évènements. Elle débute avec l’arrivée de Marion Hislen au tout nouveau poste de Déléguée à la photographie au ministère de la Culture, après avoir démissionné de la présidence des Filles de la Photo
Ce même été, à Houlgate, s’ouvre un tout nouveau festival à l’initiative de Béatrice Tupin, qui fut en poste au service photo de l’Obs.dont le titre en lui-même annonce le programme : Les femmes s’exposent.
Un collectif informel se crée avec un noyau dur et solidaire qui va s’appeler La Part des femmes. La lettre publiée le 3 septembre 2018 en pleine page de Libération sous le titre Rencontres photo d’Arles : où sont les femmes ? est accompagnée de 500 signatures de soutien.
Camille Moineau quitta son poste au Centre Pompidou en vue de créer l’association AWARE – Archives for Women Artists Research & Exhibition – qui porte aujourd’hui un centre de recherche, offre des aides aux étudiant.es et universitaires et publie articles et ouvrages sur les femmes artistes des xixe et xxe
Toutes ses actions porteront leur fruit quand en juillet 2019, les Rencontres d’Arles affichent enfin une quasi parité. D’autres responsables de festivals prennent alors conscience de cette nécessité.
D’autres actions complètent les différents domaines de création et les rapports à l’institution. On ne peut que soutenir la candidature de Marie Docher à l’Académie Française qui ne présentera dans son dossier qu’un autoportrait nu tenant une pomme. Dominique Isserman emportera le premier poste féminin.
Marion Hislen instaurera deux bourses réservées aux femmes photographes à Visa pour l’image, aujourd’hui rassemblées sous le prix Françoise Demulder.
Le Boudoir 2.0 dirigé par Annakarin Quinto programme une conférence de Delphine Bedel artiste, curatrice, cofondatrice et présidente de ENGAGEMENTS ARTS NL. Installée à Amsterdam, son doctorat l’a amenée à travailler sur les questions de l’édition comme espace d’exclusion ou d’émancipation et comme pratique féministe. Sa conférence s’intitule Comment les femmes ont inventé le livre photo.
Fannie Escoulen est nommée cheffe du Département de la photographie au sein du ministère de la Culture en remplacement de Marion Hislen dont le contrat est arrivé à terme. Elle y retrouve Agnès Saal qu’elle a souvent invitée en ouverture des débats du programme Elles x Paris Photo et dont l’action est moins connue. Elle publie sa nouvelle feuille de route Égalité 2022 qui s’inscrit dans le cadre du second quinquennat du Président Macron.
Delphine Bedel et Marie Docher ont été invitées par Fannie Escoulen à célébrer les cinq ans d’Elles x Paris Photo en tant que commissaires. Leur projet curatorial intitulé 5 ans : une histoire manifeste prend la forme d’une conférence et d’une édition.
Fannie Escoulen confirme que tous les jurys et commissions doivent être paritaires (c’est une obligation) et qu’il y a une sensibilisation des jurés à la prise en compte des dossiers de femmes.
Les Filles de la Photo vont lancer le « mentorat », programme visant à mettre en relation une artiste avec deux « marraines », professionnelles, qui l’accompagne-rond pendant quinze mois dans « la réalisation de son projet et dans le développement de son parcours ». Cette idée de mentorat sera prise par l’ENSP de nombreuses femmes y ont déjà participé. Une autre version est le Tilawin – Tilawin Project –, créé par Liasmine Fodil, programme de mentorat en faveur des femmes photographes vivant en Algérie ou issues de la diaspora..
Les revues Gaze et La Déferlante. Gaze, née en 2020, s’affiche clairement comme la revue des regards féminins. Publication indépendante et semestrielle, elle « célèbre les regards féminins à travers des récits intimes, du journalisme incarné et beaucoup de photographie. Quant à La Déferlante – la revue des révolutions féministes (dont le titre est un programme en soi) elle se veut « la première revue trimestrielle post-#Metoo consacrée aux féminismes et au genre.
Toutes ces actions et initiatives nous amènent à suivre les pays où les choses ont avancé grâce à des dispositifs législatifs, ce sont l’Espagne, la Suède et les pays anglo-saxons. « Ces pays ont déjà engagé une réflexion et des politiques chiffrées sur la programmation dans les musées, les festivals…
Un autre aspect à prendre en compte est le fait qu’il y a un vrai décrochage des femmes au sein de la profession après quarante ans, des résidences d’artistes qui puissent accueillir enfants et famille pourraient y remédier.
Deux autres faits non mentionnés dans l’essai ouvrent des possibilités à tous les photographes dont une majorité de femmes. Le réseau Diagonal fondé en 2009, réunit des structures de production et de diffusion dédiées à la photographie. Il participe à la structuration de la création photographique ; il accompagne la professionnalisation des artistes. Les festivals multiplient les lectures de portfolios pour accompagner les projets en conseillant les artistes.
Femmes photographes. Dix ans de luttes pour sortir de l’ombre
Sylviane Van de Moortele
Éditions Loco 2023
19 euros ici sur le site des éditions Loco
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ISBN 978-2-84314-093-8