14-18 Mémoire de Verre Mémoire de guerre ou les variations de la mémoire

Patrick Bard , photographe et écrivain est né en 1958. Il a été successivement membre de Rapho, puis d’Editing et il est aujourd’hui à l’agence Signatures. Il a notamment travaillé sur la banlieue, les frontières et les routes, ce qui lui a permis de théoriser « la routologie, science foutraque et fantaisiste faisant l’éloge de la lenteur, de la déviation et des routes buissonnières. ».Il mène un travail personnel sur la problématique de l’eau en Amazonie et sur les peuples autochtones des Amériques. Pour ses livres de photographie il collabore régulièrement avec son épouse Marie-Berthe Ferrer qui en écrit les textes.Tous deux s’installent à Préaux-du-Perche dans l’Orne en 2009, dans une demeure qui fait face à l’église Saint-Germain. Un étonnant vitrail recèle les visages miniatures de dix-huit poilus enchâssés dans ce singulier monument aux morts. Les deux auteurs engagent une longue enquête qui leur fait découvrir l’abondante correspondance avec sa soeur du Poilu Jules Ferré mort à 36 juste après la déclaration de paix en novembre 1918.

Au dessus de l’entrée de l’édifice le vitrail comprend l’hommage à trente enfants de la Commune morts au combat. A côté des noms et de la date de leur mort et de leur âge, 18 d’être eux sont illustrés de portraits frontaux. Un autre vitrail lui aussi a été installé en 1919,il montre dans sa partie gauche une scène de combat et à droite un ecclésiastique l’abbé Alphonse Riguet lui aussi tombé sur le front. Un troisième vitrail est consacré à un soldat agenouillé curieusement non pas devant un Christ en croix mais au pied d’un Saint Sébastien. Dans le livre en préambule à chaque portrait est confronté un paysage mémoriel avec en superposition un document d’identité , l’auteur en revendique l’ensemble comme « ces paysages contemporains, uniques tombeaux qu’ils auront à jamais ». La mémoire de ces poilus est évoquée à travers les références au service militaire et à la communale, le quotidien au front, les batailles, les échanges avec l’arrière… S’y ajoutent différentes cartes postales, photographies d’époque, archives individuelles et collectives.

Le livre s’ouvre sur les dix huit portraits frontaux réalisés au moyen format . Après avoir distingué la singularité de ce vitrail mémorial, Patrick Bard a dans un premier temps échafaudé pour les photographier de tout près vu leur petite taille. Au moment du centenaire du début de la guerre le vitrail a été restauré par le célèbre atelier des vitriers Loire. C’est ainsi que l’on va découvrir que ces portraits sont en fait des peintures sur verre réalisés d’après photo. Mais suivant l’incidence de la lumière les visages laissent voir soit le positif soit le négatif. L’usure temporelle avait transformé ces peintures sur verre en une sorte de daguerréotype naturel. Les portraits reproduits en 2 mètres par 2 sont aujourd’hui accrochés dans le choeur et sur les murs latéraux de l’église.

On peut rattacher la démarche identitaire de ce mémorial pour 18 poilus à deux autres livres de l’auteur qui se consacrent chacun à une personne fictive ou réelle travaillée par un changement d’identité qui ne reste pas définitif. Et mes yeux se sont fermés paru chez Syros narre l’histoire d’une adolescente française revenue de Syrie où elle a combattu aux côtés de Daesh. Dans cet engagement Maëlle devient Ayat. Pour Mon neveu Jeanne publié par Loco Patrick Bard a photographié pendant plus de 20 ans son neveu qui s’appelait alors Jean-Pierre.Celui-ci s’est marié tôt et a eu deux enfants.et amorce un changement de genre au milieu des années 1990, qui se manifeste par sa nouvelle identité, devenue Jeanne en 2001. La singularité de ce récit de genre se manifeste par le retour à sa condition masculine après tous les combats pour assumer une féminité.

Pour évoquer sa double activité Patrick Bard évoquait la singularité de chaque pratique : « Le photojournalisme et le polar sont deux façons proches d’affronter le réel par l’enquête et en questionnant la société surtout quand elle va mal. (…)Je trouve mon compte en disant l’indicible par la photographie et en montrant “l’inmontrable” par l’écriture. ».En instaurant dans l’église un face à face, les deux mémoires de ces combattants témoignent d’une communauté qui ne veut pas oublier, elles nous rappellent qu’à chaque génération correspond une manière de commémorer. Mémoire de verre, mémoire de guerre constitue ainsi une nouvelle variété de fiction documentaire dans l’Histoire.