AREA n° 32/33 , Un engagement partagé sans exclusive

Il ne faut pas moins d’un numéro triple à cette nouvelle livraison de la revue Area pour offrir un point sur les multiples formes de l’engagement des artistes. Dans cet ensemble touffu réuni sous la bannière ART,PAIX,ENGAGEMENT on retrouve en marge, bas de page ou plus développés les extraits les plus pertinents reçus quant au questionnaire posé depuis plusieurs mois par la rédaction sur la manière de s’impliquer à partir de sa création. L’ensemble des réponses, plus de 400, se trouve repris sur le site artengage.com qui constitue le support archival de ce numéro.

L’ouverture se fait philosophiquement avec Benjamin Stora directeur du Musée de l’histoire de l’immigration et Daniel Ramirez qui envisage la nécessité de se dégager pour mieux penser, ce que développe le sociologue Alain Touraine qui vient de publier son essai La fin des sociétés. Un court portrait de Jacques Serrano fait le point sur son concept de pop philosophie. Au cœur du numéro on retrouve les deux vedettes du colloque organisé par Area au Sénat en mars dernier le peintre Lin Xiang Xiang, agitateur pour la paix et l’homme politique polonais Lech Walesa. Plusieurs auteurs décortiquent l’œuvre et la carrière du peintre chinois dont Yves Marek qui avait été le responsable d’une loi sur les mines antipersonnelles.

L’événement déclencheur du 11 septembre est abordé à travers les peintures de Reeve Schumacher, sa série Nothing but blue sky produite 15 ans après l’attaque des Twin Towers, dialogue avec l’ensemble photographique de Carolee Schneeman du Musée de Rochechouart qui brava l’interdit américain de montrer les victimes 10 ans plus tôt.

Les intermédiaires sont présents avec Bernard Faivre d’Arcier qui revient sur sa direction d’Avignon, les galeristes Alain Oudin et Cérès Franco témoignent de leur action à long terme. Deux artistes évoquent leur rôle de passeur : Gérard Garouste avec La Source et Barthélémy Togo à travers la Bandjoun Station au Cameroun , musée, collection et lieu de formation.

La rédaction rend hommage à deux artistes récemment disparus comme Henri Cueco dont Alin Avila a toujours défendu le travail et le poète et homme de théâtre Armand Gatti, modèle d’engagement au XXe siècle s’il en est.

Toutes les pratiques sont ici présentes le dessin avec Sedek Lamiri, jeune artiste algérien, la peinture figurative avec Patrick Moquet les nouvelles technologies avec Mathieu Boucherit et sa série Google War. La performance au féminin est représentée par Majida Katthari et Ann Messmer , militante anti US appartenant à des groupes comme Artists Against the War (AAW) ou Activist Response Team(A.R.T.). tandis que deux hommes signant boijeot . renauld interviennent in situ en ville pour questionner la présence des sdf dans notre société.

Un dossier constitué par la peintre Ola Abdallah nous initie à un ensemble de créations syriennes dont beaucoup restent abstraites ou symboliques. Un important ensemble est consacré au graffiti, après un texte de Jean Baudrillard en ouverture on découvre des créateurs comme Lokiss, RNST, RAP 2122 ou les peintures d’après ses photographies de Peter Klasen réunies dans sa série The Wall.

Différents combats sociétaux sont aussi abordés de façon originale. L’actualité européenne des réfugiés est illustrée par les dessins intimistes d’Anne Gorouben et les toiles de Fred Kleinberg qui aborde les groupes dans les camps en mélangeant actualité et mythologie. Sur le plan écologique Kim Anno photographe et vidéaste américaine née en 1958 à Los Angeles soulève la question de la fourniture de l’eau dans sa série Men and Women in Water Cities. Louis Jammes présent sur toutes sortes de champs de conflits internationaux utilise photo et texte pour évoquer des pygmées rejetés de leur territoire pour protéger de grands singes. Proche de ces préoccupations l’ artiste marseillais Guillaume Chamahian retravaille dans Dictateur les images de communication familiale de Bachar El Assad. Une des œuvres les plus intéressantes est celle de Patricia Cronin Shrine for Girls réalisée sous forme d’intervention dans une église pendant la biennale de Venise 2015. Elle y évoque le sort des fillettes enlevées par Boko Haram, et de deux jeunes indiennes, des intouchables, victimes de viol.

Le rapport à un certain art officiel se trouve aussi mis en question dans la réponse longuement développée par Jane Planson qui à partir de sa très sensible pratique picturale , qu’elle revendique comme EXTIME, ouvre sur une critique de Ai Wei Wei en lui opposant les œuvres du couple lui aussi chinois Rong Rong & Inri. C’est aussi l’ensemble des contributions qui tire les mêmes conclusions, il n’est pas d’engagement artistique actuel sans remise en cause des normes établies et sans un partage de création par tous les supports aujourd’hui à notre disposition, sans exclusive.