Deux expositions, l’une à la galerie Emilie Bannwarth, l’autre aux Instants chavirés, nous proposent les œuvres respectives d’Ariel Reichman et Vincent Mauger, qui incitent à une réflexion sur la notion de dispositif artistique.
L’exposition d’Ariel Reichman se présente comme l’étoilement de différentes photographies dans l’espace d’exposition. Une des possibilités serait de « lire » celui-ci comme un livre, les images s’enchaînant en rythme sur une ligne où viennent alterner photographies extraites des médias et photographies de paysage ainsi que d’éléments naturels. Ariel Reichman a gelé différents moment d’entretiens télévisuels entre une journaliste et des militaires durant les conflits Israël/Liban en 2006. Si le sujet se tient à la croisée d’enjeux politiques, l’image quant à elle renvoie à de multiples interprétations, comme si elle se tenait à un carrefour entre divers questionnements sur l’image : l’apparition de la trame gelée du balayage vidéo dans la photographie renvoie celle-ci à sa diffusion via le canal des télécommunications ; l’ambiance intimiste conférée par le fond noir, le contraste entre la veste rouge de la femme journaliste et l’attitude figée des militaires évoque les compositions des tableaux classiques ; enfin la décontextualisation de la photographie invite à une réflexion sur l’impact des médias dans l’imaginaire. Ce cliché se tient donc à la croisée de différentes problématiques et questionnements sur la représentation. Il s’insère dans l’espace d’exposition et « dialogue » avec les autres œuvres pour déployer un dispositif artistique.
La femme en rouge, présente à cette table d’hommes, se retrouve dans le coin opposé de la salle, cette fois-ci seule, photographiée en noir et blanc et faisant face à une autre photographie, celle d’un sujet masculin. Comme si une ligne virtuelle entre ces deux images de la même femme était tendue dans l’espace, comme si – précise l’artiste, celle-ci était une autoroute – elle se voit l’axe depuis lequel viennent s’articuler les autres photographies : buisson aux fruits rouges, paysages, profil de résidence. C’est donc depuis cette ligne-route que se révèlent ces images comme différents aperçus depuis la fenêtre lors d’un trajet en voiture. Ainsi s’instaure une réflexion sur notre rapport aux images médiatiques non pas prises dans des conditions d’objectivité mais entendues comme reliées à la subjectivité d’un point de vue, celui de l’artiste où tout ensemble se mêle, l’art et la vie. Dans cet agencement, différents liens viennent coupler les images : lien analogique entre les deux clichés de la femme, lien formel dans la couleur rouge de sa veste et des fruits, lien physique dans la présence du néon qui accentue la ligne imaginaire citée, ou encore lien physique dans la présence de silhouettes d’oiseaux inclus sur les murs ou le sol de la galerie et s’insérant dans cet environnement. La question du dispositif artistique est alors à entendre comme la possibilité d’émergence de liens qui se forment et qui vont s’ériger en système cognitif subjectif, association d’idées où se rencontrent parfois au même niveau sensations et données objectives. Peut-être est-ce là la nouvelle donne de l’engagement de l’artiste : se reconnaître dans sa subjectivité et en livrer quelques clés, articulations, « charnières » au regardeur.
Aux Instants Chavirés, Vincent Mauger réalise une grande installation conçue in situ. La pièce recouvre tout le sol de parpaings obligeant le spectateur à jouer l’équilibriste sur les rainures des différents blocs. Trois sphères posées au sol, elles-aussi sculptées en parpaings, viennent compléter ce dispositif. Au fil de la visite, un partage s’instaure entre le temps de l’artiste-architecte et celui du « visiteur » comme l’appelle Claude Lévêque. Ce parcours égraine une temporalité particulière, où d’un côté l’artiste pris dans l’exigence d’une construction et devant assembler une brique à l’autre, conçoit le fil du projet, et où d’un autre côté le spectateur suit son propre itinéraire sur le fil des arêtes de parpaings. Les lignes qui s’entremêlent alors sont celles de temps vécus, le parcours physique du spectateur venant à la rencontre du sillon dessiné par l’œil de l’artiste-architecte. Ainsi le dispositif, dans son agencement dans l’espace, apparaît-il semblable à une image comme le définit Edmond Couchot : « L’image ne serait donc intelligible qu’à la condition que l’imageur qui la crée et le regardeur à qui elle s’adresse accordent l’un et l’autre leurs propres temporalités, singulières et incommunicables par nature et partagent ce même présent générateur et axial qui trouve sa source dans le temps du faire […]. C’est à cette condition que s’établirait, entre le temps du faire où naît l’image et le temps du voir où elle est saisie par le regard, une résonance fondamentale à partir de laquelle s’organiserait la temporalité conduisant à son sens. » (Des images, du temps et des machines, dans les arts et la communication, Paris, éditions Jacqueline Chambon, 2007, p. 56).