Arles 50 ième, ou comment s’épargner la nostalgie

Pus de cinquante expositions dans le festival in des Rencontres d’Arles pour célébrer cet anniversaire. Pour la première fois la parité y est respectée et cette édition se manifeste aussi par une diversité et une qualité des propositions aptes à contenter de nombreux publics. Une édition très réussie.

Une relecture se fait au féminin de quatre pionnières américaines de la street photographie. Helen Levitt, à partir de 1930 s’attache aux défavorisés de New York tandis que d’autres destins de femmes sont développés dans des ouvrages majeurs, nous connaissions Eve Arnold et Susan Meiselas et nous découvrons avec intérêt Abigail Heyman.

On ne peut qu’apprécier la volonté de Sam Stourdzé de thématiser cette programmation. Parmi les catégories on peut reconnaitre la justesse des formulations comme Mon corps est une arme, Construire l’image ou Emergences. Certes ces séquences ne constituent pas vraiment des avancées théoriques et les expositions ne sont pas regroupées géographiquement selon leur logique. Du fait de leur approche plutôt vague on comprend mal certains classements , pourquoi rapprocher les étonnantes reconstitutions de phénomènes naturels que Marina Gadonneix, opère en résidence eu Centre national d’études spatiales (CNES) avec les pratiques engagées de
Chancel et Bourouissa, nous y reveiendrons. Pourquoi séparer les pratiques documentaires sur l’habitat en Grande Bretagne de la formidable installation « the Anonymous project » qui anime une demeure de nombreuses projections d’images domestiques.

Cédant à la logique des commémorations et à sa part trop importante de nostalgie, « Toute une histoire » l’expo des 50 ans , même quand on a vécu un grand nombre de ces évènements, reste plus destinée aux happy few qu’à une approche critique. Ce n’est pas non plus la peu convaincante présentation du pseudo duel Clergue/ Weston qui échappera à ce sentiment passéiste. A tout prendre on peut leur préférer les portraits séquencés en 9 secondes que Bernard Gilles a produit de nombreux acteurs historiques de ces Rencontres.

Quand une oeuvre ou un ensemble d’oeuvres reste trop confinée à l’esthétique de son époque et ne la transcende pas la nostalgie guette. C’est ce que l’on peut ressentir face à la tchèque Libuse Jarcovjakovà malgré quelques grandes images ou à beaucoup de témoins de « la Movida ». Alors que la puissance plastique des oeuvres d’ouka Lélé y échappe largement.

En revanche les parcours singuliers des photographes est-allemands sont totalement épargnés par « l’ostalgie » et leurs recherches de « Corps impatients » gardent une grande puissance humaine qui n’a pas réussi à leur éviter un certain oubli face à la force financière et communicante de l’Ecole de Dusseldorf. Réel plaisir donc de retrouver Rudolph Schäffer et une version platine de ses portraits de morgue, mais aussi Gundula Schulze Eldowy, Thomas Florschuetz et de découvrir les auto fictions de Gabriele Stotzer.

Un regard réellement critique sur les productions artistiques du passé suscite l’intérêt en évitant tout ressenti négatif ou sentimentalisme. Pour cette édition cela concerne trois expositions majeures. Le Méjean scénographie avec intelligence scientifique un retour sur la revue « Variétés » qui de 1928 à 1930 accueille des créatrices aussi importantes que Bérénice Abbott, Florence Henri ou Germaine Krull. Deux collections anonymes constituent des révélations : Luce Lebart organise les images des « Inventions » du CNRS entre 1918 et 1945 pour montrer, non sans humour, leur conséquence sur l’évolution de la société. Sont ainsi dénoncées les menaces guerrières qui la menace autant que les séparations des rôles selon les genres. La collection Bruno Decharme regroupe une quarantaine d’artistes relevant de l’art « Photo/Brut » et détournant des pratiques photographiques. On y retrouve les tenants les plus connus de cette tendance. Mais les révélations y sont nombreuses. Si les dessins organiques de Lubos Plny dans leur finesse de détails ont été longuement exposés par la galerie Christian Berst on est étonné de découvrir une douloureuse séquence photo où l’artiste tchèque se coud la bouche et les paupières. L’exposition est traversée par de nombreuses passions érotiques toutes singulières qui constituent autant de révélations artistiques.

Deux grands courants significatifs de la création contemporaine sont bien représentés, les recherches plastiques se déclinent sous la forme d’installations de « Maisons détruites « de la hollandaise Marjan Teeuwen, d’oeuvres mixtes de l’approche collective de « Sur terre » et ses imageries innovantes ou des subtiles portraits en photo peintures de Valérie Belin. Pour la 3e année les luxembourgeois sont présents à la Chapelle de la Charité avec Lëtz’Arles. Deux installations s’y répondent, celle de Claudia Passeri reprend la structure d’un kiosque à journaux transalpin pour une mise en relations de tirages noir et blanc qui évoquent le passé fasciste d’une petite ville italienne. Krystyna Dul scénarise la découverte de l’appartement d’un collectionneur d’images érotiques qui fait écart avec la destination de l’autel.

Les nouvelles formes documentaires sont présentes avec « Les murs du pouvoir » où différents artistes, explorent les rémanences des frontières dans diverses situations européennes qui se justifient par les nécessités de protéger ses influences, d’encourager la ségrégation ou d’éviter les migrations. Philippe Chancel occupe avec « Datazone » la Chapelle des Frères Prieurs y installant ses différentes séries qui émettent les nombreuses parties du monde qu’il a exploré et leurs interactions idéologiques. Emeric Lhuisset grâce à la résidence BMW poursuit avec « Lorsque les nuages parleront » une expérience de fiction documentaire faite de vidéo, de cartes et d’objets trouvés sur place au sujet de la mémoire kurde et des atteintes à son existence. Mohamed Bourouissa avec « Libre-échange » met en scène au Monoprix diverses séries réalisées ces quinze dernières années en vidéos, peintures, dessins et sculptures. On ne peut qu’être intéressé par ses approches de groupes restreints souvent en marge de la société, dont il démontre les divers moyens de détourner les lois du marché capitaliste. Sa démonstration est d’autant plus pertinente qu’il s’appuie sur la relecture critique grâce à des petites sculptures 3D produites en série de « L’utopie d’August Sander » et qu’il annule toute nostalgie en introduisant parmi ses propres productions les photographies de Jacques Windenberger, documentariste des années 1950, auteur d’un livre de référence publié en 1965 « La photographie, moyen d’expression, instrument de démocratie. »