Quatrième volume de l’édition Anarchive (après Antonio Muntadas, Michael Snow et Thierry Kuntzel), « Autour du concile de Nicée » est un ouvrage vidéographique fondamental pour découvrir ou redécouvrir l’oeuvre de Jean Otth.
Jean Otth est un artiste suissie pionnier des expérimentations électroniques. En même temps que Peter Campus, il construit une oeuvre dense et riche où il explore les nouvelles technologies dans des visées analytiques sur l’image. Dans les années 70, son travail participe donc d’une quête d’un médium tout en élaborant des dispositifs inventifs pour mettre en scène et provoquer nos rapports aux images. La télévision et ses procédés de soumission des regards est bien sûr aussi au cœur de ses questionnements, mais J. Otth se positionne volontiers plutôt dans la longue histoire des images et de leur construction, comme le titre l’affirme : “Autour du Concile de Nicée”. Si les procédés techniques que J. Otth emploie sont bien ceux d’une époque, les réflexions qu’il construit sont elles nourries de nombreuses références antérieures, comme Platon et Dürer. Redécouvrir aujourd’hui son oeuvre, comme le permet cette édition, va ainsi être l’occasion d’appréhender un pan important mais trop méconnu en France de l’histoire de l’art vidéo. En effet, ses vidéos n’étaient jusque là visibles qu’au Centre pour l’Image Contemporaine à Genève, et à condition d’avoir fait une demande de visionnage. Lorsque je m’y étais rendue pour des recherches de doctorat, j’avais éprouvé tout l’inconfort d’un tel contexte où il fallait regarder les vidéos dans une salle fermée, sombre et isolée. La collection Anarchive révolutionne ainsi l’approche que l’on peut avoir aujourd’hui de la vidéo historique en nous en offrant des copies numérisées, rassemblées, documentées et visionnables à tout moment (voir aussi l’article sur le dvd TK, Thierry Kuntzel).
Jean Otth a réalisé des bandes passionnantes qui sont issues de ses expériences de miroir-vidéo. Le miroir, à la base de l’enregistrement d’image, est récurent chez les artistes vidéos du début, mais avec Jean Otth il devient un élément central dans le dispositif comme lieu de mise en crise de l’image. Il construit ainsi des relations avec les personnes filmées où il interroge les relations entre le regard, l’objet regardé et la place depuis laquelle s’opère cet échange. Par exemple, dans Le portillon de Dürer (1976, 19’02, extrait vidéo ) Jean Otth se tient face à une femme nue allongée près d’un moniteur qui réflète la scène en temps réel. La femme tient à la main une gravure de Dürer et essaie de reprendre au mieux la pose classique, de rejouer la relation de soumission du modèle face au peintre. Ensuite, J. Otth se met à tracer avec un feutre un dessin sur l’image même de son corps, c’est-à-dire sur le reflet d’un miroir. En cet instant nous comprenons en effet que ce que nous prenions pour l’image directe de la scène était en réalité son reflet dans le miroir. J. Otth ne dessine donc pas sur une feuille vierge, mais il n’intervient pas non plus directement sur le corps du modèle. Ce qui l’intéresse, c’est d’intervenir dans la strate des images, les noircissant pas endroits, les délimitant, puis les faisant réapparaître en effaçant. La caméra et le moniteur sont là pour instaurer un troisième terme dans la relation entre le peintre, le modèle et la peinture, permettant de mettre en place une énigme de la vision questionnant, après les Ménines de Vélasquez, les méandres de la représentation. Le trait du dessin se surperpose à l’image, et la matière picturale prend ensuite le relai sur le feutre. J. Otth utilise la vidéo dans une démarche de peintre. Les formes colorées qui surgissent des superpositions d’images, parfois proches du corps, presque figuratives, parfois beaucoup plus abstraites, sont ainsi très importantes.
J. Otth accompagne ses expérimentations de textes qui viennent nommer et raconter ce qui se joue de l’image dans ses dispositifs. Si en privilégiant le format dvd-rom à celui du livre il a clairement signifié son rejet d’une approche trop théorique de ses oeuvres, ses vidéos, installations, photographies et peintures sont souvent parcourues par des phrases méditatives où il marque son approche aussi conceptuelle de l’image et de l’art. Les modèles prennent la parole, lui-même commente ses actions, ou encore les titres sont chargés d’intention. Les mots circulent en se chargeant du sens des images et de la pensée. En parcourant le dvd-rom, deuxième volet de la publication, on pénètre ainsi dans la pluralité de la caverne de J. Otth, faite de différents médiums mais aussi d’un ensemble de problématiques participant toute d’une quête de nos rapports à l’image, entre séduction, consommation et mise à distance, entre iconophilie et iconoclastie. Achevons par son introduction au dvd-rom : “Il serait donc le compte-rendu d’un nouveau concile qui se serait tenu dans mon atelier de 1967 à 2007 !”.
Mathilde Roman, janvier 2008
Un site internet, www.jeanotth.net, vient également d’être mis en ligne, permettant une première approche du travail de J. Otth.