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Yann Toma se situe dans cette mouvance encore discrète du monde de l’art – on reconnaît le talent de défricheuse de Patricia Dorfmann – pourtant appelée à le révolutionner : celle qui joue avec les symboles et les attributs de l’entreprise pour mieux en démonter la domination, exacerbée par la mondialisation. Ouest-Lumière est une entreprise à l’esthétique résolument « guerre froide », « onusienne », – James Bond -« Bons baisers de Russie ». En 1991, Yann Toma investit la centrale thermique Ouest-Lumière, sur les bords de la Seine à Puteaux. Il collectionne documents et archives laissées sur place, comme ces « placards de mémoire » dossiers de l’assistante sociale où la vie de chaque ouvrier est consignée. Il devient le conservateur du lieu menacé d’abandon, et l’énergie électrique l’inspire pour des œuvres , photographies, installations où la lumière est en jeu : « Cercles d’ampoules », « Flux radiants », splendides encerclements de rayons lumineux. Il met en scène des rêves …ou des cauchemars comme la série des « Crimes sur commande ».

Mais le cœur de l’œuvre se situe dans l’action de réactivation de l’entreprise réelle. De vestige de l’Electricité de France Ouest-Lumière mute en fiction entrepreneuriale, avec son organigramme, son conseil d’administration, chef du protocole, ses actionnaires, son syndicat, …ses pigeons voyageurs (services des transports) sa Commission pour la Flexibilité active…et son président nommé à vie Yann Toma. On voit que l’organigramme bilingue franco-russe dérape insensiblement …qu’il s’agit bien là d’un détournement des intitulés et des fonctions, pourtant si semblable à la prolifération de nos commissions et sous-secrétariats d’état dans la « vraie » vie. Certaines dénominations ne sont pas moins surréalistes que celles imaginées par l’artiste. La « Journée mondiale du refus de la misère » pourrait figurer comme action du « Département des Opérations de Maintien de la Paix » d’Ouest-Lumière. Ce glissement progressif, fiction-réalité, nous réjouit. Il fait de nous, citoyens, des non-dupes, complices réactifs d’une opposition de l’art à un ordre quotidien qui nous étouffe sans qu’on puisse le dénoncer puisque toute dénonciation, même virulente, est aussitôt commentée, digérée, classée par la mécanique spectaculaire. Alors que Ouest-Lumière s’impose…en tant que firme fictionnelle, avec sa carte d’implantation dans le monde, sa « structure pyramidale autocratique ancrée dans la réalité d’aujourd’hui », elle semble être là pour nous materner, tel un service public à l’ancienne, et nous protéger contre les brutalités de la mondialisation.

Yann Toma, dans le cadre de la 15ème édition de la Biennale de Paris et du CERAP (Université Paris I), a codirigé le colloque international « L’art est l’entreprise » les 14 et 21 octobre 2006. Rien d’ironique dans cet intitulé : l’artiste aujourd’hui est un entrepreneur, souvent son propre agent, communicant, producteur, endossant de multiples casquettes pour concrétiser son œuvre. Yann Toma travaille actuellement au lancement du parfum Ouest-Lumière, odeur du réseau. A l’aide de bandelettes professionnelles, l’odeur de chaque actionnaire sera prélevée, puis traitée par un grand « nez » du parfum. Pour cette prochaine action Yann Toma s’entoure de compétences issues de l’entreprise, L’Oréal entre autres. Dès lors se pose une nouvelle problématique, « abyssale ambivalence », soulevée par Stephen Wright, philosophe et critique dans le livre-entretien consacré à Yann Toma. Mimer l’entreprise, oui, mais jusqu’où « « Faut-il abolir Ouest-Lumière » »