Background est un petit livre d’artiste qui ravira les cinéphiles. Eric Rondepierre le publie aux excellentes éditions Charlotte Sometimes. Dans cette jeune structure, sous la houlette de Charlotte Guy, d’autres ouvrages aux dimensions et prix modestes sont déjà parus. Signalons notamment les belles sérigraphies de Polaroids que sont « Fracture » (2014) de Sandra Fastré (Cf. mon entretien « L’opacité révélatrice » sur www.lacritque.org), ou encore de la même photographe, « J’écris / Winter’s Tale » (2016).
Eric Rondepierre est un artiste cinéphile qui aime agrandir des détails de pellicule altérés, dont les cicatrices confèrent au support argentique une dimension organique. C’est la gageure inverse qu’il nous propose dans le livre Background : désincarner les décors de cinéma pour restituer des pièces de maison ou d’appartement depuis longtemps détruites. Dans tous les cas, l’œuvre de Rondepierre relève d’une esthétique de la disparition. Recomposés patiemment, morceau après morceau, ces espaces vides forment des panoramiques silencieux. L’auteur du texte « Dangerous Method » (le titre d’un film de David Cronenberg dont le décor apparaît dans l’opuscule), Bertrand Schefer, imagine d’ailleurs avec humour : « [les acteurs] un instant tous regroupés, chuchotant ou piaillant d’impatience à l’idée de retrouver leur place dans la scène ».
Loin d’assouvir notre fantasme de pouvoir habiter des lieux qui nous sont si étrangement familiers, l’artiste nous maintient à distance de ces espaces imperméables. Le regard ne peut les habiter et doit se contenter de les effleurer, comme un souvenir trop parfait, lointain et inaccessible de cinéphile, car l’action du film s’est absentée avec les acteurs. On pourra bien sûr, en fonction de ses connaissances, se prêter au jeu : identifier un intérieur de Visconti, Antonioni, Cronenberg ou Hitchcok ; celui-ci restera inaccessible un pur fantasme d’espace habitable…
Seule la chambre d’artiste du film A Dangerous method, dont le fenêtre donne sur un lac suisse semble accessible, peut-être parce que , comme le confie Rondepierre, elle lui rappelle la chambre qu’il occupait lorsqu’il était étudiant, et que son désordre témoigne d’une présence lorsque les autres intérieurs sont parfaitement rangés. Elle n’est pas sans rappeler, comme le note Schefer, la chambre de Vincent Van Gogh à Arles. C’est elle qui conclut, avec l’intérieur de Misery (Rob Reiner, 1990), le livre, alternant dans les deux cas vue panoramique entière et fragments du décor. Cette alternance de plans rapprochés et de plans éloignés génère une mise en page dynamique, qui reproduit le battement de notre imaginaire qui ne cesse de focaliser sur des détails et de s’en éloigner.