Philip Anstett, photographe qui a longtemps œuvré dans la presse alsacienne aux côtés du journaliste Daniel Carrot, publie un recueil de clichés en noir et blanc, Before Instagram, aux éditions Médiapop. L’ouvrage dévoile quelque chose d’une existence noctambule attachée à la flamboyance des années 80 dans le milieu interlope de Mulhouse.
Les amis, le rock, la vie, l’ouvrage se scinde en trois sections comme autant de pôles qui auraient guidé l’existence de Philip Anstett. Ses images ont le charme ravageur de l’underground. On y retrouve les soirées tapageuses, les vêtements outranciers, les corps dans la débauche de la nuit. Ni portraits, ni paysages, ce sont plutôt des images obliques vacillantes, comme les âmes ivres et perdues, observées en plongé par le photographe qui parfois use comme il se doit d’un flash brûlant les visages et illuminant le fond des pupilles. Grimaces, clopes incandescentes, bras levés en signe d’une joie peut-être feinte ou désespérée, les signes de l’imagerie festive sont tous là. Soudain l’œil s’attache à un visage féminin, peut-être un moment tendre auprès d’un corps aimé où se suspend l’énergie de la fête. La nudité champêtre entre amis compose encore un souvenir réjouissant de la vie diurne.
On devine que Philip Anstett est entouré d’amis proches, que tous sont à l’aise dans ce geste photographique qui immortalise leur jeunesse. Aucune méfiance, les regards pointent avec bienveillance l’objectif, se prêtent parfois au jeu en prenant la pause. L’intersubjectivité est totale, chacun manifeste sa présence à l’autre de chaque côté de l’appareil, et ces images, comme le sont souvent celles de la jeunesse, rappellent aisément la mélancolie du « ça a été » de la photographie, tant dans sa nostalgie première que dans sa dimension sociologique. Tous ces visages mulhousiens ont laissé leur jeunesse au passé.
La seconde section consacrée à la musique, éclairée de surcroît par la touchante préface de Daniel Carrot, laisse imaginer la vitalité de la scène musicale d’alors. Les clichés de concerts, en prolongement des scènes de soirées, situent le photographe dans une époque précise, au temps béni d’une ouverture culturelle probablement disparue à en croire le journaliste, où Jean-Louis Aubert, Alain Bashung, Etienne Daho, étaient de jeunes hommes et où l’on pouvait inviter sur les scènes alsaciennes Barry White ou Iggy Pop.
Before Instagram n’est heureusement pas un ouvrage réactionnaire, clamant que tout se perd, mais plutôt un roman d’apprentissage photographique, où la jeunesse est glorifiée pour son insolente innocence. Etait-ce la vraie vie, ou bien seulement l’adolescence qui se prolongeait dans l’alcool la drogue ou les voyages, avant qu’une vie plus rangée ne fasse son apparition ? Le recueil se conclut sur l’apaisement. Même si en réalité, « beaucoup de ces photographies datent de la même période que celles de la partie Friends ou Rock », souligne Philip Anstett qui considère les trois sections du recueil comme « trois manières d’explorer la photographie dans une période déterminée par la pratique de l’argentique entre 1970 et 2002 ». Les dernières pages de l’ouvrage révèlent un oeil soucieux d’une composition plus classique des images. La solitude d’un arbre en bord de route ou d’une femme sur un banc laisse deviner que le photographe arpente le monde en solitaire. La bande d’amis a délaissé le champ du regard alors éclairci et livré à la contemplation.