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Revue d’art depuis 2006

Rencontre avec Bernard Massini, collectionneur engagé

www.lacritique.org vous invite le 19 octobre de 15h30 à 17h00 à la Table ronde que nous organisons au Théâtre de l’Espace Cardin (Métro Concorde ou Champs Elysées Clémenceau) avec Bernard Massini ,collectionneur niçois, membre de l’A.D.I.A.F. sur le thème « Art contemporain Tactiques ou Nécessités ? »

Les collectionneurs prennent une place de plus en plus importante sur la scène artistique française. Ils sont nombreux à ne plus se contenter d’acheter et à s’investir pour la visibilité des artistes qu’ils défendent en accordant des prix, en exposant leurs collections, ou même en créant des lieux dédiés à l’art. Nous avons rencontré Bernard Massini, collectionneur niçois, membre du jury Marcel Duchamp 2006 et fondateur d’un espace d’exposition pour sa collection.

L’hôtel Régina à Nice a une façade chargée d’histoire et c’est dans son rez-de-chaussée que Bernard Massini, neuro-chirurgien, s’est installé avec le projet d’en faire un lieu d’art contemporain. On entend dans les paroles de son ami artiste Henri Olivier l’admiration pour son énergie, pour sa persévérance, pour ce qui lui permet de nous faire visiter aujourd’hui un espace magnifiquement aménagé par Marc Barani et où se côtoient appareillages médicaux et grands tableaux. Le lieu est en effet encore pour l’instant dédié à son cabinet médical et sa collection se mêle ainsi à son activité professionnelle. Du coup, le visiter n’est pas chose aisée, les créneaux horaires sont limités et il faut prendre rendez-vous avec obstination, avec le risque qu’un imprévu médical vienne le mettre en cause.

Quoi qu’il en soit, lorsqu’on entre dans le cabinet/exposition, les tableaux s’imposent dans l’espace, se juxtaposent, se dévoilent sans se dévoiler tout à fait puisque les identités des artistes ne sont pas mentionnées. C’est temporaire, nous dira ensuite Bernard Massini, les cartels sont prévus et seront même complétés par des textes introductifs. Et effectivement ce premier rapport est trompeur si on croyait y voir une simple transposition des habitudes de la sphère privée du collectionneur. Bernard Massini présente son univers, ses croyances, ses passions, mais il le fait avec le sens des responsabilités de ce dont ce projet est porteur. En achetant et rénovant cette partie de l’hôtel Régina, en projetant de créer une fondation lorsqu’il arrêtera ses activité professionnelles, il s’est engagé dans un projet qui excède son goût personnel et ses émotions subjectives face aux oeuvres. Le collectionneur, en s’engageant dans cette aventure du lieu public, radicalise encore ce qui le définit profondément : la façon dont il s’investit personnellement dans l’existence de l’oeuvre acquise. Antoine de Galbert en est aujourd’hui la figure française représentative, à l’origine d’un lieu de vitalité où l’art contemporain et ceux qui se plaisent en sa compagnie viennent s’y ressourcer. Nice devrait dans les années à venir apprécier tout autant l’impulsion apportée par un nouvel espace d’art contemporain.

La collection est constituée essentiellement de peinture, avec des oeuvres d’artistes majeurs comme Alberola ou Garouste, d’artistes affirmés aujourd’hui sur la scène artistique, comme Denis Castellas, Djamel Tatah, Stéphane Pancréac’h, Anton Henning, et également d’artistes plus jeunes et moins reconnus, comme Vincent Bizien. Une sélection qui permet une immersion passionnante et sensible dans des univers qui partagent une certaine temporalité et inquiétude. Actuellement, ce sont donc de grands formats de peinture qui sont présentés, mais d’autres accrochages dévoileront aussi d’autres aspects de la collection avec des dessins et sculptures, et même des photographies et vidéos.

Quand on le questionne sur l’histoire de sa passion de collectionneur, Bernard Massini ne rentre pas dans la mythologie personnelle. Pas de rencontre éclatante, pas d’éveil mystique à l’art. Il raconte simplement un premier achat à 20 ans d’une toile d’un peintre de Menton, Emile Marzé, inconnu dont il revendique encore la qualité du travail. Mais pour le reste, il dit surtout avoir fait beaucoup d’erreurs. Son jugement s’est formé au fil du temps, au fil des complicités qui se tissaient avec artistes et galeristes. De ses débuts il a revendu une bonne partie, privilège du collectionneur sur les institutions. Rien ne l’oblige à conserver, à justifier de ses dépenses mal dirigées. Au contraire même tout à son avis l’oblige à remettre de l’ordre dans ce qui est dans ses réserves, à élever l’exigence, à constituer un ensemble qualitativement homogène.

Aujourd’hui, au fil des regards sur les toiles, une identité se dessine, les oeuvres s’affirment dans une proximité. Les sujets et motifs sont sombres et parfois complexes, ils nous engagent dans des regards métaphysiques sur l’homme, sur la mort, sur l’angoisse. Ainsi le triptyque des Femmes d’Alger de Djamel Tatah met le visiteur face à un groupe de femmes aux visages durs et étrangement similaires. Elles se tiennent droites et côte à côte, sans voile, et dégagent une grande force teintée de colère. Sur un mur en amont, une série de toiles de Marc Desgranchamps sur la guerre de Yougoslavie est accrochée, inscrivant au coeur de la coulure des images de la violence des conflits. En associant ces travaux, Bernard Massini a suivi la volonté des deux peintres désireux de voir cette rencontre.

Bernard Massini ne cesse de répéter que les oeuvres de sa collection sont là grâce à la confiance des artistes qui lui ont permis d’acheter des pièces importantes, qui lui ont confié des toiles intimes et précieuses, comme de tableau de Stéphane Pancréac’h où il s’est représenté enfant jouant au boomerang avec son père, et qu’il souhaiterait avoir dans son cercueil avec lui… Le lien avec des galeristes est aussi essentiel, comme Durand-Dessert à qui il a racheté un énigmatique Garouste de la série sur la Divine Comédie de Dante. La dimension humaine est ainsi centrale dans son rapport à l’art. En anticipant sur sa fondation par l’exposition de sa collection sur les murs de son cabinet neuro-chirugical, c’est bien encore de ça qu’il s’agit. Le lieu est vivant, habité par des hommes et femmes de passage dont certaines passeront l’attente dans un regard sur l’art. Mais Bernard Massini n’est pas missionnaire de vocation. Il sait bien que ses patients viennent avec des problèmes qui accaparent leurs disponibilités et que l’expérience artistique ne pourra pas résoudre. Ce n’est pas grave. Si les oeuvres ont besoin d’un regard pour exister pleinement, elles ont surtout besoin d’un lieu pour s’exposer. Les regards viendront ensuite, un peu maintenant, plus encore sans doute lorsque le lieu sera exclusivement dédié à l’art. Les artistes ont confiance, le collectionneur veille à la bonne évolution du projet, et les oeuvres sont déjà là, disponibles pour ceux qui auraient envie d’aller les découvrir.