En dehors des célébrations officielles autour de l’an 2000 peu d’artistes ont envisagé le XX° siècle dans sa totalité à partir d’un projet plastique ambitieux, en dehors des seules visées documentaires. Bernard Rudiger dans son exposition estivale au Château des Adhemar se revendique pourtant d’un lien fort au document. Il use pour cela de la sculpture, du son et de la photographie.
Si de précédents travaux présentés notamment à la galerie Michel Rein, constituent un » autoportrait en machine célibataire « c’est à une vision plus englobante qu’il se consacre. Présent en Palestine où il a envie de rendre compte de la situation par la photographie, il fait un constat d’impuissance du medium à témoigner de cette complexité dramatique. A partir des mêmes présupposés un certain nombre de reporters se sont tournés vers des pratiques plasticiennes ou des fictions documentaires.
Bernard Rudiger qui s’est fait connaître en France notamment au Frac Centre en 1995 comme relevant des » Artistes-Architectes « cherche toujours à diversifier ses moyens. Il a donc recours à des enregistrements sonores. Ne pouvant de nouveau se rendre en Israël du fait de la seconde Intifada, il procède à sa captation de sons dans Manhattan, un peu avant le 11 septembre. Il a alors l’intelligence , se souvenant de son échec à documenter en images la situation, de transcrire ses enregistrements sonores en un long ruban photographique. Cette frise sismographique intitulée » XXe fin « , suppose déchiffrement ou diagnostic et constitue l’élément temporel du tombeau sonore que l’artiste met en place.
En même temps il réactive les fonctions anciennes du lieu, un château-fort, lieu de guet et de surveillance pour un territoire à défendre. La frise dialogue avec une sorte de machine de vision, dont l’architecture de bois évoque aussi un dispositif guerrier. Deux sculptures suspendues allient animaux symboliques et cloches d’un tocsin pour le siècle écoulé. Dans la partie supérieure du château le dispositif sonore d’alerte se formalise dans une sculpture en bronze qui résonne violemment à intervalle régulier, avertissement qui domine toute la vallée sur laquelle le spectateur peut étendre son regard. Le tombeau s’établit dans l’espace.
Au pied de l’édifice une installation en hauteur entre derrick et tour de réception hertzienne est surmontée d’une sorte de girouette aux formes fractales. Elle vient, au gré du vent, heurter une languette métallique créant une subtile musique de feulements, de frôlements. La nature figée dans les suspensions de cloches retrouve ici une expression sensible.
Quelle place occupe donc l’humain dans ce dispositif tombal ? Dans la salle du bas du château il eest réduit au rôle quelque peu ridicule d’un grand Pinocchio immobilisé dans son action par son nez se terminant au niveau du plafond en un ballon gonflé à l’hélium. De même dimension, de hautes silhouettes animales en métal poli mènent » la danse des rats « . Les deux protagonistes, créatures de mensonge ou de divertissement,au sens pascalien, sont entravés par la même incurie à agir ou à réagir face aux catastrophes proclamées par les ondes sonores. Ils ne sont même plus les gardiens du temple.
Bernard Rudiger nous donne ici une vision distanciée et baroque d’un siècle en alerte, toujours à l’écoute impuissante des menaces, mais auxquelles l’art seul peut apporter non une rédemption, mais une rémission.