Busy going crazy, l’oeil d’un diamantaire

L’exposition Busy going crazy, qui est une présentation à La Maison rouge de la collection de Sylvio Perlstein, est une concentration exceptionnelle d’oeuvres d’art moderne et contemporain.

Diversité et richesse d’une collection qui n’a rien à envier au musée. Tour à tour, défilent devant nous des oeuvres dada, et notamment la fameuse Joconde de Marcel Duchamp L.H.O.O.Q., des oeuvres surréalistes du mouvement français d’André Breton et belge de Marcel Mariën, sans oublier des pièces de Victor Brauner ou de Hans Bellmer, des oeuvres de l’avant-garde du début du siècle dernier, comme Constantin Brancusi, un grand nombre de tirages de photographes célèbres tels Claude Cahun, Henri Cartier-Bresson, ou Robert Doisneau, des oeuvres des Nouveaux Réalistes, des oeuvres pop de Warhol ou Wesselman, minimalistes, avec Robert Morris, Donald Judd ou Sol Le Witt, du land art…, et des pièces plus contemporaines, Bruce Nauman, Rebecca Horn, Andres Serrano, Vik Muniz… Il faut noter également la légère préférence donnée à Man Ray dont une dizaine de pièces occupent une vitrine qui lui est réservée. Mais la liste citée ici paraît squelettique face à la générosité de ce qui nous est donné à voir.

Sylvio Perlstein, au cours de ses multiples voyages professionnels, allait au devant des artistes. L’histoire de sa collection est avant tout tissée par des rencontres et des amitiés. Au travers de certaines acquisitions – telles des peintures de Robert Ryman -, il aida de jeunes artistes à démarrer. Il fit preuve d’un regard avisé à de nombreuses reprises, faisant de son regard de diamantaire le pivot depuis lequel de nombreuses oeuvres procédant du montage, du collage, de l’agencement de plans, devinrent la clé de voûte de sa collection. Il y a en effet peu de peinture dans cette dernière, mais beaucoup de photographies, d’installations mettant en jeu des éléments minimaux et des modules. Comprendre l’art dans un jeu incessant de montage, d’assemblage, de conjonctions entre les différentes facettes du visible nous semble alors autant histoire de diamantaire que de cinéma.

La présentation de cette collection qu’en donne le commissaire, David Rosenberg, même si elle semble suivre le cours chronologique des mouvements artistiques, nous invite à appréhender les oeuvres selon une échelle humaine, à la mesure d’un regard habitant avec elles (habité par elles ?). Le découpage de l’espace de la Maison Rouge épouse curieusement celui d’un espace intime. Le parcours nous invite à aborder les oeuvres au fil de thèmes et de questions qui semblent hanter le collectionneur : le paysage, l’espace urbain, le chiffre et le nombre, la lettre, le corps, la tentation et la censure, l’objet… parfois un rassemblement de pièces en appelle à la spiritualité qui en inspira la création, et évoque l’autel votif qui se trouvait dans les villa romaines. Le rapport à l’oeuvre qui nous est suggéré ici n’est pas calqué sous l’autorité d’une histoire de l’art mais à la mesure d’une sensibilité. Les oeuvres rassemblées de la sorte paraissent exalter le lien que nous entretenons quotidiennement avec le monde, lui donnant une saveur d’unheimlich, d’inquiétante étrangeté. Le musée de Sylvio Perlstein est celui de sa mémoire.

En parcourant ainsi le monde et les ateliers, Sylvio Perlstein avait une influence non négligeable sur la production de ce qu’aujourd’hui nous reconnaissons comme l’histoire de l’art. On parle de mécène.

Cela nous renvoie directement à la place de plus en plus importante réservée à la production d’oeuvres grâce à des fonds privés. Pourtant, l’intervention du mécénat d’entreprise ou de collectionneur au niveau de la création pourrait bien se retrouver dans l’exposition et l’interprétation des oeuvres. La nécessité qu’a le musée d’ordonner la matière artistique selon un axe chronologique participant ainsi à la légitimité de l’Institution, semble remise en cause depuis Big Bang, ou Le mouvement des images au Centre Pompidou. C’est donc dans cette faille que semble venir s’ancrer les différentes volontés des mécènes et des fonds privés. On ne nous sert plus de l’art sur le plateau du temps et de l’histoire mais au travers de thèmes, de problématiques ou de couleurs, qui pourraient bien servir les intérêts de ces nouveaux producteurs d’art. La Fiac n’est pas loin avec son goût de luxe. Gageons que des individus pourront préserver le plus possible une approche sensible de la création comme celle de Sylvio Perlstein.