L’exposition « Destination » de l’artiste japonaise Chiharu Shiota à la Galerie Templon présente des œuvres inédites, véritables stigmates des questionnements métaphysiques de l’homme face à ses difficultés à comprendre le monde et les difficiles relations entre les êtres.
Dans l’espace principal de la galerie, on découvre un immense bateau prisonnier d’un océan de fils rouges. Cette œuvre, qui reprend un des thèmes cher à l’artiste (comme on a pu le voir aussi dans son son installation The Key in the Hand présentée à la Biennale de Venise en 2015), revêt ici une forme particulière. Il ne s’agit plus d’un simple objet « capturé ». Ce bateau a ici des allures de squelette humain. L’objet « fétiche » s’humanise sous nos yeux sous la forme d’une dépouille.
A travers le prisme du bateau, c’est la condition humaine que Chiharu Shiota nous donne à voir. Depuis l’Antiquité et ce dans de nombreuses cultures, le bateau témoigne des péripéties de l’existence, le voyage d’une rive à une autre, de la vie à la mort. Cet aspect est ici renforcé par la forme labyrinthique de l’installation : un passage obligatoire pour le spectateur désirant voir la suite de l’exposition ou en sortir.
La série Skins élaborée sur de grands tableaux tissés de ficelles rouges directement sur la toile offre une connotation corporelle et physiologique telles des réseaux de connexions et autres terminaisons nerveuses. Le fil rouge est dans la mythologie nippone les interconnexions des âmes.
La série de sculptures quant à elle prend l’allure de petites cages retenant divers objets tels une robe ou une arme et semblent être des vestiges d’un ras de marré, prisonnier d’une temporalité particulière. Serions-nous face à l’effeuillage d’une âme vers un autre état ? De nombreuses interprétations coexistent et c’est là, toute la richesse de l’œuvre de Chiharu Shiota. Ces pensées de l’artiste orientées vers la mort rappellent le but auquel aspire le boudhisme à travers les techniques de méditation et le fameux Niravana qui offre un « entre deux mondes », un temps suspendu de concentration sur soi et de compréhension du monde.
L’enjeu du travail de Chiharu Shiota est de jouer sur l’ensemble des acceptions et les mythes autour du « fil ». Parfois au sein d’une même œuvre le spectateur est tiraillé dans sa signification. Le fil peut-être le lien et la mise à distance, l’outil de capture, la vie et la mort, une temporalité, nos rêves et nos espoirs, un réseau etc. La puissance de sa démarche réside là dans cet objet de civilisation comme définit par Pierre Francastel. Le fil devient langage à part entière. Il est un outils de médiation de l’œuvre par son universalité de sens, à la fois le signifiant et le signifié de nos questionnements métaphysiques.
« Destinations », véritable poème métaphysique, ode à la vie nous emmène dans une temporalité suspendue, comme une mise sur pause afin de nous interroger sur le monde et les relations complexes entre les êtres.