Chorégraphier l’exposition, une somme théorique

Avec les deux propositions actuelles de Pierre Huyghe et Philippe Parrenno, l’expérimentation d’expositions chorégraphiées trouve des exemples de haute qualité. Dans ce domaine Mathieu Copeland fut précurseur dès 2008 grâce à sa manifestation pour la Ferme du Buisson, après un premier volet à la Kunst Halle de Saint Gall en Suisse. A l’occasion d’une reprise–évènement , cinq ans après, de cette expérience pluri-artistique dans ce même lieu de la couronne parisienne, le Centre d’Art publie ce que Julie Pellegrin dans son introduction évoque comme « ceci n’est pas un catalogue ». C’est en effet bien plus : une somme sur cette question d’actualité faisant les liens entre arts plastiques et danse.

Le livre dans sa double version franco-anglaise s’ouvre et se clôt sur une série de photos évoquant les traces de pas des danseurs de l’exposition initiale, prises à l’initiative de Roman Ondàk. Ces deux seuls portfolio semblent évoquer le petit podium aux chaussures vernies de Pierre Huyghe ou la pièce circulaire des enregistrements sonores d’une répétition de la troupe de Merce Cunningham dans Anywhere out of the world. Pour interroger cette mémoire fugace d’événements artistiques du vivant ou des arts plastiques, pour suppléer à cette fonction défaillante, l’auteur a convoqué théoriciens, curateurs, chorégraphes et artistes de haut niveau. Il retranscrit là de nombreux entretiens effectués depuis trois ans à propos de leur pratique. Il organise ces réflexions en grands moments où se déclinent les principales composantes à l’œuvre à savoir Partition, Corps, Espace, Temps et Mémoire.

Mathieu Copeland s’était fait connaître par une série de déclinaisons du concept actuel d’exposition depuis Exhibitions’Ruins/Emotional Landscapes (Reykjavík, 2007), Une Exposition de mémoires (Nice, 2008), Vides, Une rétrospective (Centre Pompidou, 2009) et Une Exposition du sensible (La synagogue de Delme, 2010). Une Exposition Chorégraphiée se composait exclusivement de mouvements. Les gestes quotidiens de Roman Ondàk dialoguaient avec les pièces « marchées » au ralenti de Michael Parsons ou celles, très dansées, de Philipp Egli tandis que Jennifer Lacey proposait de chorégraphier les interstices des autres propositions. Pendant un mois et demi, six heures par jour, trois danseurs du collectif chorégraphique LeClubdes5 ont interprété les partitions écrites par huit artistes. L’ensemble de ces partitions fut orchestré par le commissaire d’exposition qui prolonge aujourd’hui cette expérience par cet essai qui en ouvre les perspectives.

S’appuyant sur des entretiens précisément menés il donne la parole ainsi à des artistes qui interrogent leur pratique à partir des liens qu’ils entretiennent à la danse ou au performatif on peut ainsi lire les témoignages de Kenneth Anger, Tim Etchells, Pierre Huyghe, Malcolm McLaren ou Claude Rutault. Du côté des arts du vivant ce sont des personnalités aussi incontestables que Jérôme Bel, Boris Charmatz, Jennifer Lacey ou Mickaël Phelippeau qui leur donnent la réplique en s’appuyant sur leur expérience scénique.

A l’entre-deux de ces champs de pratiques scénographiées des théoriciens viennent argumenter les liens on peut ainsi lire les essais de Myriam Van Imschoot, Barbara Formis, André Lepecki, Amy Greenfield ou Hans Ulrich Obrist. Le renouveau de la recherche internationale en matière d’exposition se trouve ainsi interrogé offrant de nouvelles perspectives entre arts plastiques, performance et danse contemporaine.