« Vigilance » constitue le fil rouge de la 20ème édition du Festival Voies Off au cœur des Rencontres Photographiques d’Arles. De renommée internationale et reconnue par les professionnels du monde de la photographie, cette manifestation explore la création photographique contemporaine, ses exceptions, ses évolutions et ses résistances…
A cette occasion, Christian Gattinoni présente une exposition en forme d’hommage à son père, Pierre Gattinoni, déporté résistant, arrêté par la Gestapo française puis conduit à Mauthausen par les convois Nuit et Brouillard où il a été interné pendant 26 mois.
Ils n’avaient pas que tué. Ils avaient brisé la marche des hommes, jusque dans leur ossature, et ils les avaient éparpillés mais leurs morceaux chuchotaient derrière eux, dansaient devant nos yeux et s’enfonçaient en brillant dans nos orbites. Une rumeur de pas et de cris grondent encore tel un feu un peu fou qu’on ne peut éteindre.
« Alors que sont célébrés les 70 ans de libération des différents camps, les survivants juifs, résistants, tziganes et homosexuels de la barbarie nazie sont de moins en moins nombreux. Aujourd’hui les défenseurs de cette idéologie qui a tenté de les exterminer essaient de se « dédiaboliser » et tentent de prendre le pouvoir légalement dans le monde entier. La deuxième génération à laquelle j’appartiens qui a depuis longtemps déjà assuré le relais de cette mémoire, sait qu’elle doit lui servir d’arme pour reprendre ce combat contre tous les fascismes. » Christian Gattinoni.
Christian Gattinoni expose in memoriam différents travaux réalisés entre 1987 et 2008. Les réalisations de ces différentes séries varient de formes afin que la fil bleu de la mémoire ne soit pas rompu et touche le public de toute génération.
« La série ‘’Trains’’ rappelle les conditions inhumaines des transports vers les camps. Les ‘’Dédicace’’ donnent le cadre intime d’un quotidien bouleversé par le drame historique, les ‘’Albums’’ offrent le cadre d’un livre mémoriel. Les boîtes des ‘’Plans-films’’ montrent comment les images témoignages sont devenues invisibles, quasi obscènes. Les ‘’Masques’’ inscrivent ces victimes raciales et politiques dans l’ensemble des morts civils connus ou anonymes qui ont endeuillé le XXème siècle. Les ‘’Chaconnes ’’ résonnent de ces corps martyrisés qu’on respectait moins que des viandes. Notre siècle dorénavant voit les mêmes formes historiques et d’autres fascismes nous menacer, que les bourreaux de tous ordres sachent que ‘’non le sang ne sèche pas vite en entrant dans l’histoire’’, la deuxième génération, nos enfants et petits enfants se battent pour cette mémoire là, pour cette liberté là qui n’a pas de prix, et ton amour.
Orléans le 11 janvier 2015
Nous étions 4 millions ‘’Pour qu’un jour les enfants sachent qui vous étiez.’’ »
Christian Gattinoni
Portrait gros plan d’un homme que l’on découvre dans l’entrebaillement d’une porte, salle au mur écaillé, visage sans sourire, ses yeux chargés des ombres de ce là-bas, comme un instant volé d’intimité nous regardent du haut de cette innocence qu’on a éventrée. Cadre intime d’un quotidien. Comme les mots pèsent… un quotidien ritualisé par la souffrance, la torture, l’humiliation. La négation de l’autre, n’est que négation de soi.
Ont-ils aussi éventré le passage vers l’au-delà, vers la conscience ? Quand les mots, les images de l’horreur ne franchissent plus nos lèvres, ne ternissent plus notre regard, on tue une seconde fois.
En créant une atmosphère, Christian Gattinoni a su ouvrir les portes de l’innommable, nous accompagner dans cette dénonciation de la folie meurtrière, organisée et insoutenable, de la négation de l’homme par l’homme, sans concession face à l’animalité des meurtrissures infligées aux corps.
Il m’écrit : « Oui, il faut que tu saches que les deux photos les plus sombres correspondent à une salle, en face de l’entrée les portraits de la série 20° siècle pour ses victimes inconnues. Quand on se retourne à droite, on découvre la série des Viandes, tandis que l’on entend Nuit et brouillard de Jean Ferrat. Les lumières sont basses tamisées par des gélatines. De ce fait, le carrelage apparait très médical. L’autre pièce plus claire voit les séries Dédicaces, Trains et Plans films. Dans la cour sont collés sur les murs de l’ancien couvent, ancien hôpital, ancien collège des portraits de déportés et des images des séries Album et Trains. »
Parcours jamais suffisamment lent, gêné de pudeur, emprunt de silence obscur. On pense qu’on ne souffrira pas. Trop loin ? Plus là ? Chair noire… os rongé… sang violacé… On ne peut déchiffrer le langage de l’horreur. On découvre alors le portrait d’un anonyme à la pupille azur. Chair d’homme, os, charpente d’homme, sang rouge histoire d’homme, lignée de bleu. La beauté saurait-elle naître de l’Impossible Exécution ?
Quand une émouvante musique desserre l’étau de l’innommable, l’obscénité de l’insoutenable. On ne peut regarder vers le large invisible. On voudrait porter la main à son front. Curieux enchevêtrement de ciels déchirés, de vies brisées, de nuits.
On était là debout, dans la pièce trop grande. Demain sera « vigilance ».
A mon grand-père Antonino Alonzo, arrêté par les Français parce que Sicilien et déporté au camp de travail de Zaghouan, une montagne de verre à 30 km de Tunis et assassiné en 1943.