Cléa Coudsi et Eric Herbin, Tribologie

Pour leur première exposition personnelle à la galerie Schirman & de Beaucé, les deux jeunes artistes Cléa Coudsi et Eric Herbin présentent un ensemble de trois installations (dont deux que les plus chanceux ont eu l’occasion de voir l’an dernier dans le très beau centre d’art Lab-Labanque de Béthune).

Au rez-de-chaussée de la galerie se confrontent la verticalité de Où maintenant (2009) et l’horizontalité de Turnletters Spirit. La première installation se compose d’un ensemble de dizaines d’enveloppes blanches disposées au mur en rectangle rappelant le format des éléments qui le constituent. Les pointes n’étant pas fermées, elles nous donnent à voir leur intérieur – vide. Mais ce n’est qu’en suivant les conseils des cartels que l’on s’approche et que l’on remarque qu’avant nous des dizaines de dermoglyphes ont laissé leurs empreintes sur ce mur de papier. Il faut en effet, pour entendre, après avoir vu, saisir les enveloppes et coller son oreille sur la pointe, sur laquelle se situe un discret micro.

De chacune des enveloppes émane un message différent, lu par une voix de synthèse parfaitement cosmétique et étrangement presque dramatique, pour ce qui apparaît comme être la transcription de SMS. Messages écrits si courts qu’il faut être concis, et que ces voix retransmettent dans leur banalité quasi inquiétante. Les SMS, pourtant rarement pensés en termes poétiques, forment ici une installation murmurant des secrets, des petits pas grand-chose ayant peut-être permis de se retrouver dans un magasin bondé ou donnant une précision pour une liste de courses. Si Coudsi et Herbin s’intéressent aux SMS, c’est avant tout en tant que transmission de messages, à la manière des courtes cartes postales que l’on peut s’envoyer en vacances, et qui ont fait l’objet d’une œuvre, Bien des choses, en 2006.

Tout à côté, lui faisant écho car traitant d’un autre point de vue le même sujet, se trouve Turnletters Spirit (2009). Cette table blanche animée par en-dessous d’un aimant se promenant à sa guise, nous donne à voir des centaines de lettres et symboles, qui dans un charabia de frottements métalliques se dépassent et s’entrechoquent. De taille plus réduite que l’installation au Lab-Labanque, comportant donc moins de lettres, l’œuvre évolue dans un fracas moins impressionnant. Elle n’en demeure pas moins fascinante, par les dessins que l’aimant dessine, à la manière des pâtes alphabet que l’on pouvait aligner aléatoirement dans l’assiette à soupe. Sorte de moderne table Ouija, au lieu de former des réponses, elle aligne plutôt des bribes de mots incohérents, inventant un langage qui pourrait bien être celui décrit par Jorge Luis Borges dans « La bibliothèque de Babel », où tout assemblement de lettres possède un sens car tout a déjà été écrit.

Enfin, au sous-sol se déploie la dernière œuvre, qui achève de donner son sens à l’intitulé de l’exposition, Tribologie, mot désignant la science étudiant les phénomènes de frottement et d’usure de deux objets entrant en contact. Black Sound (2008) est constituée de seize blocs de charbon prélevés par les artistes lors de leurs voyages en Europe, et montés sur des tiges, à la manière de cristaux précieux. Chatouillés par des épines métalliques tandis qu’ils tournent sur eux-mêmes, ces éclats de charbon s’usent et font voltiger une très légère poussière noire brillante (peut-être n’est-elle issue que de notre imagination). Le grincement qui en émane nous rappelle que ces pierres, petits condensés d’histoire géologique et sociale du Nord de la France dont sont originaires les artistes, ne sont pas lisibles comme les disques vinyles sur lesquels les artistes ont auparavant travaillé (Other Side, Break, 2007). Tout au contraire, leurs aspérités en font des objets uniques, nouvelles pierres précieuses qui pourtant s’effriteront tout au long de l’exposition.

Voici donc une rare proposition discrète, toute de grattements, de murmures et de déplacements furtifs, dont on attend avec impatience les prochains développements.