CORPS SOUS LA LIGNE DE FLOTTAISON FŒTALE DU REGARD

Si vraiment comme nous l’affirment les scientifiques le corps humain est composé de plus de 80% d’eau, sa capacité de fusion au moins visuelle dans un milieu aquatique est une propriété relevant plus de l’expérimentation physique que du champ artistique. Cependant Muriel Toulemonde nous a déjà familiarisés avec d’autres laboratoires et lieux d’entraînements du corps humain ou animal. Pour son exposition « Attraction » au Granit de Belfort son théâtre d’expérience est une piscine, l’action dramatique sous jacente se construit autour des gestes, des techniques et des accessoires du sauvetage.

« Pour danser comme un poisson on peut bien sûr observer lepoisson réel, mais c’est insuffisant. Il faut imaginer qu’autrefois on était baigné dans le liquide amniotique, à ce moment là,seulement,la
danse apparaît. » Kazuo Ono

Le cadre est serré de ces univers et horizons d’eau qui mettent en valeur crânes et visages en suspension en leur centre. Cers pièces indépendantes comme les chapitres de la vidéo plus longue fonctionnent comme autant de portraits en actions. Ils ne relèvent cependant pas de la quête identitaire individuelle et constituent plutôt des portraits génériques du sauveteur ou nageur d’exception et par delà même de l’être humain. Si l’on considère l’uniformité mouvante du décor d’eau coloré on peut l’assimiler au fond d’or de l’icône.

Encore que la créature rouge de « la bouée » évoque plus quelque idole païenne qu’une représentation divine même stylisée. Le double humain , serviteur de la figure archaïque, en perd jusqu’à son identité sexuelle, tout dévoué à sa fonction d’officiant. D’autres dualités exprimant un rapport dynamique telle « flottaison affleurements » se manifestent ensuite dans les inter-chapitrages de la vidéo principale « Ondulations ».

Saurait on envisager que la première proposition « longueur l’apnée » corresponde autant aux conditions de réalisation de l’exploit physique d’un nageur qu’à l’attitude attendue du spectateur. Comment mettre notre regard en apnée, sous la ligne de flottaison incertaine de la
Formation disparaissante du corps. Ce qui prend formes dans les vagues colorées de la profondeur de l’onde est moins tel corps qu’une destinée problématique qui réalise potentiellement du corps.

Cette séquence m’a remémoré le début de la vidéo-danse de Jean-louis Le Tacon « Waterproof » accompagnant la chorégraphie homonyme de Daniel Larrieu. Si une piscine traditionnelle accueillait le spectacle, la ligne de démarcation s’établissait dan,s le destin visuel des corps plongés et sortis de l’eau. Chez Muriel Toulemonde le corps n’existe qu’hors d’eau. L’eau est le lieu du devenir icône du visage, celui des couples nageur-sauveteur ou celui de la « naïade » au profil martelé de reflets liquides.Quant à la chorégraphie elle se joue dans l’étrange ballet des gestes qui sauvent, répétés à froid, comme autant de passes d’une danse sociétale hésitant entre agression jouée et tendre compassion.

Définir le statut fluctuant du corps dans ce travail, sa potentialité non encore actualisée au bord de l’image, c’est revivre quelque chose de l’expérience intra – utérine ou du moins accepter d’en voir simuler expérimentalement l’horizon sensoriel.