Covid contre Voie Off, deux survivants symboliques Richard Petit et Antoine d’Agata, Arles contemporain 2

Au moment où un homme de télévision a été préféré à un homme de terrain aux municipales, où Christophe Wiesner, transfuge de Paris Photo, vient d’être nommé à la direction des Rencontres d’Arles 2021, la ville désertée par l’édition 2020 annulée du fait de la pandémie réagit par toutes sortes d’initiatives que recense Arles contemporain. La qualité de ces propositions comme leur diversité mérite de traiter cette situation inédite en plusieurs articles. Deux propositions historiques, Trois situations technologiques, Les réponses à la pandémie, les monographies de quatre plasticiens et la résistance de Voies Off.

Si à Avignon le Off a sombré avec le In Voies Off qui aurait dû fêter son 25 ème anniversaire cet été, a subi l’épidémie qui en a décidé autrement. Elle a emporté aussi le beau projet qu’Hervé Schiavetti , voulait confier à Christophe Laloi et Aline Phanariotis. Ils devaient reprendre les locaux de l’ancienne Ecole Nationale Supérieure de la Photographie dans la rue des Arènes pour continuer leur action au service de la photographie contemporaine internationale. Cette passation de pouvoir était prévue depuis des mois, la prise en charge des frais de fonctionnement étant assurée par la Municipalité. Une dernière réunion avant signature a eu lieu à l’Hotel de ville le 13 mars, pour assurer la continuité de cette situation particulière le maire sortant a voulu demander en urgence l’accord de la direction de l’ENSP, alors que le bail avait été interrompu. Le début du confinement a tout compromiset le projet a été définitivement arrêté du fait de l’échec de Nicolas Koukas à l’élection récente.

Pour résumer leur action Voies Off a choisi de présenter une exposition d’un de leurs fidèles Richard Petit. Depuis qu’ils ont matérialisé leur action par une galerie ils ont suivi son travail, alors qu’il est autodidacte et détenteur d’une licence de philosophie il a multiplié les expositions en France et à l’étranger, il a été diplômé de l’ENSP avec mention grâce à la Validation des Acquis de l’Expérience.

Sa résidence à Lumière d’encre à Céret, dans le cadre du festival Foto Limo , l’an dernier, lui a permis d’explorer le thème de la frontière qu’il aborde de façon métaphorique avec une grande liberté. Plusieurs de ses séries précédentes consacrées au paysage se plaçaient dans l’héritage et sous l’influence de l’école de Dusseldorf. Il manifeste ici, avec Border Line une approche de ses cadres beaucoup plus libre tout en restant fidèle à son outil préféré la chambre photographique. Les présences humaines, nouvelles dans sa pratique, amorcent un dialogue dynamique avec les paysages toujours photographiés dans une distance de respect.

Le premier prix Voies Off a été attribué à Antoine d’Agata, c’est lui qui a été le second invité de cette saison étrangement sinistrée. Il a réalisé ces deux derniers mois 13 000 images 6 500 dans le rues de la capitale, et le reste dans divers hôpitaux où il a photographié soignants et patients dans les services luttant contre le Covid-19. Il s’est attaché aux interactions entre ambulanciers, docteurs, infirmiers, aide soignants et malades, aux gestuelles médicales, d’hygiène ou de réconfort. La technologie thermique ici utilisée a des précédents dans des situations guerrières, qu’elle soit simulée par Michel Rovner dans sa série Decoy (Leurre) où les images de la première guerre du Golfe montrent l’avancée des combattants avec des polaroïds de reportages télévisés ou que Daniel Trepper et Vittoria Menstatti l’utilisent pour illustrer la destruction des habitats palestiniens par l’armée israélienne.Plus récemment SMITH en 2012 a utilisé cette technique au service des rapports humains, de la question du genre qu’elle a montré avec une grande sensibilité dans ses Spectographies avec l’installation du Fresnoy Cellulairement (Etude pour spectres, caméra thermique et puce sous cutanée)

L’installation Virus présentée sur 11 écrans dans la cour désertée de l’Archevêché a les qualités de réponses d’urgence à la situation sans négliger le facteur humain, cette ingénierie biomédicale qui se matérialise dans ces tirages chromogéniques correspond à la mise en lumière du virus. Leur rythme d’apparition a l’écran est varié pour obliger le spectateur à s’approcher et à identifier soignants et victimes.

L’intérêt de l’enregistrement de ces rayonnements infrarouges émis par les corps est de rendre visible les ondes de chaleur qui varient en fonction de leur température et matérialisent donc l’état de la maladie. L’artiste avoue avoir vite été fasciné par le processus visuel « qui réduit les sujets humains à des figures essentielles, dénuées de caractéristiques ou spécificités superflues ».

Dans la première partie on est sensible à la révélation de la ville désertée du fait du confinement : capitale traversée par des corps aux attitudes stéréotypées, habitée surtout par les sans-abris qui apparaissent, à l’image, comme les formes résiduelles, survivants malgré eux. Dans les prises de vues réalisées dans les hôpitaux des différentes villes c’est le ballet parfois désespéré des soignants autour des corps malades qui nous émeut et nous questionne.

Cette oeuvre, Virus, d’abord découverte dans Libération et qui devrait faire l’objet d’une publication à la rentrée que nous attendons avec impatience et curiosité restera comme le monument audio-visuel de la lutte contre la pandémie.