Rendons hommage à cette jeune et dynamique galerie new yorkaise établie à Chelsea de présenter l’une de ses artistes les plus rares à Paris. Il s’agit de Dannielle Tegeder. Originaire des Pays-Bas, Dannielle Tegeder renoue avec les compositions énergiques des premiers Constructivistes fondées sur l’emploi notamment des obliques. Mais quel but, est on en droit de se demander, remplissent les œuvres de cette artiste ? Chaque partie semble constituer un « plateau », pour parler le langage de Gilles Deleuze et Félix Guattari [1], orné d’abondantes et sibyllines légendes, c’est-à-dire une région continue d’intensités : « White Winter City with Dot lower Tunnel Routes. Love Circle Production Expulsion Center with five station route (…) ». Le raccordement des régions se fait à la fois de proche en proche et à distance, suivant des lignes de rhizome, qui concernent les éléments de l’art, de la science et de la politique. L’œuvre de cette artiste, nous l’aurons compris, superpose aux désirs du regard la réalité d’un monde où se lisent, telles les lignes d’une vie, le projet complexe d’une déterritorialisation imaginaire ou réelle d’espaces dont la structure n’est pas pleinement cohérente. Dannielle Tegeder met en jeu l’espace. Et il y a entre le jeu et le je de cette personne une dissonance qui n’est pas sans rappeler le meilleur de la littérature américaine. Je veux parler de Hubert Selby Jr. dont la lecture des récits me paraît en tous points comparables au temps qu’accomplit le cheminement du regard pour saisir les configurations peintes et / ou sculptées de Dannielle Tegeder. Utopie ? L’on songe naturellement à l’inaccessible insularité décrite par Thomas More qui a livré l’une des premières forces critiques de l’histoire en opposant à l’espace-temps du réel l’imaginatif d’une possible conquête de territoires aux horizons toujours plus lointains. La force du projet de Dannielle Tegeder réside dans sa capacité à transformer l’art en machine. Et cette machine explore le devenir de nos sociétés. Les images qui nous sont données à voir ne sont donc pas simplement des données mentales mais des réalités en voie d’existence. Sans toutefois les opposer, Dannielle Tegeder et son contemporain Harrell Fletcher, qui peut-être s’ignorent mais là n’est pas l’objet de mon propos, représentent deux courants complémentaires et qui sont, aux Etats-Unis, plus que jamais, sources de renouvellement d’idées et d’espoirs : l’utopisme dans sa version parfois trash (avec pour autres exemples David Lynch ou le photographe Sultan abordant les bas-fonds de L. A…) et le pragmatisme inspiré par Emerson et Thoreau que Pierce a largement concouru à théoriser. Entre ces deux polarités, subsiste le Rêve Américain, toujours debout avec son cortège d’enchantements et de misères. « Easy rider » en somme. Oui, je vois tout cela sur les toiles de Dannielle Tegeder. Je vois le Bien et le Mal. Je vois la Croix ; le Paradis californien et l’Enfer Texan. Je vois l’Amérique de la « Nuit du Chasseur ».